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nous apprend que la barque fit ainsi trois heureux voyages Mais c’en est fait : un violent et dernier effort des vagues triomphe du vaisseau et détruit à la fois la machine superbe et malheureuse et la chaloupe secourable. La mer engloutit tout dans ses abîmes ; elle garde plusieurs cadavres, et montre à sa surface quelques infortunés presque mourans. Ceux-ci s’attachent à quelques débris du navire qui surnagent ; ils implorent la bonté divine pour qu’elle sauve au moins leurs ames. Les flots et les vents poussent à la côte nombre d’hommes froissés et déchirés par les planches garnies de clous que les vagues rejettent, les lourdes ancres elles-mêmes sont lancées du fond des eaux sur le rivage. Le fort capitaine court en aide où le danger est le plus pressant Le chroniqueur, plus exact encore ici que le poète, n’oublie pas de mentionner l’ordre que donne Sepulveda de sauver surtout les armes.

À terre, son premier soin est de faire entourer de planches le lieu qui sert d’asile aux naufragés. Déjà la pierre laisse échapper le feu qu’elle recèle, déjà la fumée s’élève, déjà ceux qui ont le plus souffert réchauffent leurs nerfs engourdis. Le capitaine décide qu’on n’entreprendra rien avant que les plus abattus soient remis de leurs souffrances. En attendant, il envoie deux Portugais reconnaître la contrée et voir si l’on peut espérer de recevoir des naturels des vivres et des secours. Les éclaireurs reviennent ; ils n’ont rencontré que des huttes misérables et des signes hostiles. Sousa cache à tous et surtout à Lianor les inquiétudes qui le déchirent ; mais elle a deviné sa douleur, car une grande douleur ne se cache jamais. Sept jours s’étaient écoulés, lorsqu’ils aperçurent dix Cafres menant une vache enchaînée. Tous pensent avec joie que c’est un secours que leur envoie le ciel ; mais ce bien, hélas ! N’était qu’un leurre. Au moment où les Cafres allaient céder la vache, non pour de l’or qu’ils méprisent, mais pour du fer, d’autres naturels surviennent et s’écrient : « N’achetez pas de ces hommes faux ce que la mer vous offre pour rien sur le rivage. » Et aussitôt tous se retirent. Sousa, en équitable et prudent capitaine, ne voulut pas qu’on employât contre eux la violence.

Cependant l’état des malades et des blessés s’améliore. Tous enfin peuvent supporter les fatigues du long voyage qu’il faut entreprendre. Il s’agit de regagner les établissemens portugais, ou, au moins, de chercher, à l’est la rivière de Lourenço-Marques, où les habitans de Sofala se rendent fréquemment pour trafiquer. Sousa réunit donc tous les naufragés et leur parle ainsi : « Seigneurs et amis, vous voyez le misérable état où nous sommes réduits. J’espère que la miséricorde