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sont instinctivement attirés et bientôt entraînés dans les voies de l’opposition.

Admettons donc sans chicane et sans commentaire la parfaite sincérité, l’indépendance complète du poète, car ; hélas ! là devront se borner à peu près nos louanges. Le volume que M. Freiligrath offre en holocauste sur l’autel de la patrie est peu digne, il faut l’avouer, d’un tel honneur. La somme d’idées en est très mince et la forme en est très commune. M. Freiligrath, qui avait trouvé pour peindre les splendeurs de la nature un éclat de couleurs qui rappelait les Orientales de Victor Hugo, lui qui avait, avec un talent incontestable, ramené à une réalité précise le lyrisme allemand si enclin, à s’égarer dans le vague, il ne trouve en parlant de liberté que des images ternes, qu’un rhythme mou et pesant, que des rimes sourdes attelées à des phrases prosaïques. Sa préface tout en exprimant les sentimens les plus louables, est pédante et maladroite ; c’est un lourd harnais mis par un enfant à un pégase de carton. La conclusion, en vers dédiée à M. Hoffmann de Fallersleben[1] est, en vérité, une glose bien puérile ajoutée par le poète lui-même au grand fait de sa conversion politique. Il en rapporte le principal honneur à l’éloquence persuasive de l’auteur des Gassenlieder[2], mais il ne déguise pas la part considérable qu’a droit d’en revendiquer le champagne mousseux qui les rassemble à Coblentz, à l’auberge du Géant. « Nous vidâmes verre sur verre, dit il, jusqu’à ce que la lumière fût obscurcie par la mèche qui charbonnait, et que notre cœur, lui aussi, brûlât d’une colère sombre. » À travers l’orage de leur ame courroucée, le rire et le calembour luisent comme l’éclair. Deux heures sonnent. Les vaillans trinqueurs de la patrie éprouvent le besoin d’endormir leur audace ; ils vont éveiller le valet de l’hôtel qui ronfle, et montent dans leur chambre où M. Hoffmann de Fallersleben possède encore assez de présence d’esprit pour écrire sur l’album de son ami, moins capable de discernement, cet aphorisme remarquable : Coblentz est tranquille ! Tout cela, on aura peine à le croire, nous est raconté avec complaisance et fort au long par M. Frieligrath, comme s’il eût craint que ses ennemis manquassent de prétextes pour le tourner en ridicule, comme s’il eût voulu leur enseigner au plus vite de quelle manière il fallait s’y prendre pour dépouiller sa conversion du caractère

  1. M. Hoffmann, né en 1798 à Fallersleben, dont il a retenu le nom, auteur des Chansons Impolitiques et d’un grand nombre de poésies familières très répandues du Allemagne.
  2. Chansons des rues, par Hoffmann de Fallersleben.