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déesse protectrice de Hambourg, fille de la reine, des morues et de Charlemagne, venue au monde le jour de la fondation de la ville, lui apparaît. (Que nos lecteurs nous dispensent de trop particulariser.) Elle salue le retour du poète : « Après treize ans d’absence, lui dit elle, je te retrouve le même. Tu cherches toujours les belles ames que tu as rencontrées si souvent dans ce quartier. Hélas ! tu ne reverras plus ces fleurs charmantes ; elles sont flétries, effeuillées, écrasées même par les rudes pieds du destin. »

Tout en devisant de la sorte, la déesse conduit M. Heine en son logis et lui offre une tasse de thé mêlé de rhum. (Elle avale le rhum sans thé, observe le poète.) Alors, d’une voix flatteuse et en appuyant sa tête sur l’épaule de son bien aimé, elle lui reproche d’avoir quitté l’Allemagne pour Paris, ce pays de frivolité, sans même s’y être fait accompagner par un éditeur fidèle, qui, prudent mentor, l’ait su guider et préserver de tous écueils. Elle l’engage à revenir au pays.


« Je t’assure, dit-elle que les choses n’ont jamais été aussi désespérées qu’on se plaisait à le dire. On a fort exagéré. Toujours, en Allemagne, on a pu, comme jadis à Rome, se soustraire à l’esclavage par le suicide. Le peuple a toujours joui de la liberté de la pensée ; elle exige pour les masses ; elle n’est limitée que pour le petit nombre de ceux qui se font imprimer… Cette liberté pratique que l’on vante, elle détruira un jour la liberté idéale que nous portions dans notre cœur, et qui était pure comme le rêve d’un lis. Et notre belle poésie, elle va s’éteindre. Le roi maure de Freiligrath, il mourra avec bien d’autres rois. Oh ! Si tu connaissais l’avenir de ta patrie ! »

Ici, malgré la meilleure volonté du monde, il nous devient impossible de dire à nos lectrices où cette Béatrix de carrefour conduit son Dante Polichinelle pour lui découvrir les destinées futures de l’Allemagne. Qu’il suffise de savoir que le poète est suffoqué par des exhalaisons et des miasmes tels, qu’ils surpassent tout ce que son nez a jamais pressenti de plus horrible.


M. Heine interrompt sa narration, en promettant de conter une autre fois ce qui advint encore durant cette nuit mémorable. « Je le raconterai, dit il, à cette jeune génération qui succède à la génération des hypocrites, qui comprend le poète et vient se réchauffer contre sa poitrine. » M. Heine en prend occasion de nous affirmer que sa lyre est aimante comme la lumière, pure et chaste comme la flamme, et, non content de cette affirmation quelque peu hasardée, il nous apprend que cette lyre est identiquement la même que touchait jadis son père Aristophane.