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il cacha si bien sa retraite, que ses amis mêmes ne l’y découvrirent qu’au bout de deux ans, il se fixa en Hollande, comme le pays qui entreprenait le moins sur sa liberté, comme le climat qui, selon ses expressions, lui envoyait le moins de vapeurs et était le plus favorable à sa santé. En France, outre les obligations que lui eût imposées son rang, la température lui paraissait troubler la liberté de son esprit, et mêler un peu d’imagination à la méditation des vérités qui ne veulent être conçues que par la raison. Il s’était aperçu, dit Bai1let, que l’air de Paris était imprégné pour lui d’une apparence de poison très subtil et très dangereux, qui le disposait insensiblement à la vanité et qui ne lui faisait produire que des chimères. Ainsi, au mois de juin 1628, ayant essayé un travail sur Dieu, dans une solitude, il n’avait pu réussir, faute d’avoir le sens assez rassis. La Hollande convenait mieux à son humeur et à sa santé ; il y goûtait la liberté de l’incognito, l’ordre, l’aisance de la vie. C’est l’éloge qu’il en faisait à Balzac, en l’invitant à s’y venir fixer, peut-être parce qu’il n’avait pas peur d’être pris au mot ; car, même dans ce pays de choix, où il séjourna vingt-trois ans, il changeait presque continuellement de résidence, non moins pour dépister les visiteurs, que pour trouver le point où il espérait jouir le plus pleinement de lui-même. Un seul homme connaissait le lieu de sa solitude ; c’était le savant père Mersenne, par lequel il communiquait avec le monde, n’ayant à faire qu’aux idées, et libre de tous rapports avec les personnes.


Sa retraite en Hollande fut comme une fuite. Il n’en laissa rien savoir à ses parens, pour éviter leurs observations et leurs reproches, et ne se confia qu’au père Mersenne, auquel il avait fait promettre de lui garder le secret. C’était au mois de mars 1629. Il avait alors trente-quatre ans. C’est dans cette solitude si opiniâtrement défendue contre sa gloire même qui attirait tous les yeux du côté d’où partaient des lumières si nouvelles, et qui le faisait traiter ; par ses ennemis de Tenebrio et de Lucifuga, qu’il s’attacha avec suite à l’ouvrage qu’il appela d’abord l’Histoire de son esprit.

Il s’était fait un régime de vie accommodé à ses études, et qui tînt son ame dans la moindre dépendance possible du corps. Il mangeait fort peu, à des heures réglées, sans jamais passer la quantité qu’il s’était prescrite, ni par des caprices d’appétit, ni par complaisance pour ses amis ; évitant les viandes trop nourrissantes, pour échapper à cette oppression des alimens dont parle Pascal, et préférant aux viandes les racines et les fruits. Il étudiait l’influence de ses affections morales sur son appétit ; il expérimentait toutes choses, son sommeil,