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conduite, que nos conditions pour la plupart dépendantes rendent difficile à exécuter, mais qui n’est impossible absolument pour personne. Il regardait l’inconvénient d’être trop connu comme une distraction dangereuse au dessein qu’il avait formé, disait-il, de ne jamais sortir de lui-même que pour converser secrètement avec la nature, et de ne quitter la nature que pour rentrer en lui-même. Il craignait beaucoup plus la réputation qu’il ne la souhaitait, estimant qu’elle diminue toujours quelque chose de la liberté et du loisir de ceux qui l’acquièrent ; deux choses qu’il considérait comme les deux plus précieux avantages de sa retraite.

On dit d’un homme qu’il est à la mode, quand sa vanité, ou sa légèreté l’a rendu l’esclave de toutes les impressions ou opinions passagères qui ont aujourd’hui la faveur de la foule pour la perdre demain. C’est cet homme qui se fait une taille pour toutes les formes d’habit ; qui imite tout ce qui plaît ; qui enfin se règle en toutes choses par la réputation plutôt que par la raison. On dit d’un autre qu’il est original, quand il résiste sans modération s’abandonne sans volonté, et, s’il a raison, quand il le fait trop voir, et qu’il y met ou un orgueil choquant, ou une affectation qui lui fait perdre l’avantage qu’il avait d’être dans la raison. Toutefois on l’estime plus que l’homme à la mode. La foule la plus entraînée éprouve un certain respect pour celui qui se tient à l’écart, à cause qu’elle sent involontairement qu’elle agit plus par passion que par raison, et qu’en ne la suivant pas on fait preuve de raison. Enfin, de quel homme dit-on qu’il est naturel, sinon de celui qui ne suit l’opinion commune que jusqu’où elle cessé d’être raisonnable ; et qui au delà résiste, sans tourner à rôle son avantage sur les autres, et sans s’enticher même de sa raison, ne prenant pas moins garde de se trop distinguer de la foule que de l’imiter ?

Telle est l’idée que nous nous faisons du naturel, et il est remarquable que nous ne la séparons pas de l’idée de raison ; car qui en a jamais vu donner la louange à une personne commune ou à une personne extravagante ? Eh bien ! le naturel dans les écrits ne peut pas être et n’est pas d’une autre sorte que le naturel dans la vie humaine. Écrire naturellement, c’est écrire conformément à la raison.

Pascal dit de la lecture des bons auteurs : « Quand on lit des écrits naturels, on est ravi : car on s’attendait à voir un auteur et on voit un homme. » Quel est cet homme ? Est-ce l’individu, avec tout ce qui le distingue de tout le monde, avec les particularités de son caractère, avec ses humeurs, ses dispositions qui changent selon les variations