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de sa santé, avec tous les caprices de la nature variable et individuelle ? Non sans doute ; car je n’imagine pas que Pascal eût été ravi d’apprendre d’un auteur par quoi cet auteur différait de lui, ni de le voir faire tant d’estime de ces différences, qu’il en entretînt la postérité. C’est donc l’homme dans ce qui lui est commun avec tous les autres hommes, dans tout ce que Pascal rencontre de conforme à la nature immuable et universelle, la raison. Ce qui ne veut pas dire exclusivement, on le comprend du reste, l’homme qui raisonne ou enseigne, mais l’homme qui sent, imagine, s’émeut, se passionne dans une telle mesure, que quiconque le lit s’y reconnaît, et que, par la raison qui nous est commune avec lui, nous comprenons et estimons comme nôtres les passions mêmes qui sont le plus contraires à la raison.

À qui s’applique mieux qu’à Descartes l’idée que nous nous faisons du naturel ? Qui s’est tenu plus libre des opinions et impressions du dehors, et a mieux réussi à dégager sa pensée de tout ce qui ne lui était pas propre et ne venait pas directement de sa raison ? Qui à écrit plus conformément à la raison ? Ce serait n’être pas juste que de n’en pas étendre l’éloge à tout ce qu’il a écrit d’accessoire à ses spéculations, dans lesquelles il n’est pas étonnant qu’on trouve le grand naturel de la raison, puisque c’est la raison elle-même qui s’y manifeste par l’évidence. Tout ce qui est sorti de la plume de Descartes est marqué de cette exactitude qu’il ne reconnaissait pas dans Sénèque, et qui n’est que le rapport parfait des paroles aux pensées, et le choix, parmi les pensées, de celles qui peuvent servir de prémisses à un syllogisme ou de preuves à un jugement.

Je trouve là encore à admirer la justesse de ce qu’on a dit de Descartes, qu’il était une idée faite, homme. Descartes est une idée, dans ce sens qu’il recherche la vérité universelle, l’idée pure, avec la seule faculté universelle qui soit en nous, et la seule qui ne dépende pas de l’individu, avec la raison. Il ne s’occupe pas des circonstances extérieures qui pourraient faire flotter sa vue, ni de lui-même en tant qu’individu offrant matière à un examen peu sûr et peu désintéressé. Dès lors toutes les paroles sont exclusivement pour l’idée ; elles sont nécessaires et par conséquent parfaites. Elles ne peuvent ni être plus fortes ni être plus ornées. Elles sont ainsi, parce qu’il est impossible qu’elles soient autrement. Mais qu’est-ce donc que le naturel par excellence, si ce n’est tout cela ? Plus l’individu qui voit la vérité se met dans l’ombre, plus nous voyons la vérité qu’il nous montre. S’il disparaît complètement, comme fait Descartes, nous ne voyons plus que la vérité seule ; c’est elle qui nous parle, qui nous persuade directement.

Le XVIe siècle n’a jamais eu ce naturel. Est-ce dans Montaigne