Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/903

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

De voir ces journaliers du roman et du drame
Dilapider ainsi leur talent et leur ame ?
Mais il faut aller vite, il faut improviser ;
Le mode expéditif, c’est où l’on doit viser
Or, seul, on est trop faible, et de nos jours en France,
Afin de soutenir la grande concurrence,
On a vu s’élever ce fléau corrupteur,
Cet opprobre de l’art : le collaborateur.

Autrefois, on faisait ses ouvrages soi-même ;
On portait sur ce point le scrupule à l’extrême.
Maintenant, on s’y prend de tout autre façon :
Chacun a son manœuvre et son aide-maçon ;
L’un fait le sérieux et l’autre le folâtre ;
L’un fournit le moellon, l’autre gâche le plâtre ;
L’un couve l’œuf après que l’autre l’a pondu.
On n’y connaît plus rien, et tout est confondu,
Car les livres nouveaux que Paul met en lumière
Sont combinés par Jean et sont écrits par Pierre.
Pêle-mêle sans nom ! tripotage hideux !
Conçoit-on ces produits manipulés à deux,
A trois, à quatre, à cinq, ces plats faits à la hâte,
Ces gâteaux dont chacun a repétri la pâte ?

J’estime un pauvre diable, honnête charpentier,
Agençant à lui seul un mélodrame entier.
Son style n’est pas fort, mais du moins c’est son style.
Ce qui me trouvera toujours d’humeur hostile,
Ce sont ces commerçans, faisant ensemble un bail,
Et mettant en commun leur fétide travail ;
Ce sont ces arrangeurs de quelque œuvre cynique,
Ces cotisations, sorte de pique-nique,
Où plusieurs beaux-esprits s’en viennent boursiller,
Dans de honteux détails trempant sans sourciller.
Et que de plagiats pour suffire à la vente !
On va trop lentement, quand toujours on invente.
Quelques-uns, repêchant un livre enseveli,
Pour se l’approprier le tirent de l’oubli ;
D’autres, dont le nom seul vaut un achalandage,
Exploitent le talent moindre de rang et d’age