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Ce serait au public à leur couper les vivres.
Or, le public français, que leur plume abêtit,
Dévore goulument, et de grand appétit,
De vieux mets rhabillés qu’on lui sert à la chaude,
Et ne s’aperçoit point qu’on le pipe et le fraude.
Le public se compose en grande part d’oisons
Capables de happer les plus vilains poisons,
Et d’avaler tout doux quelque horrible mixture,
Sous prétexte de prose et de littérature.
Il leur faut ce qu’on sert aux truands, aux coquins,
De ces hideux fricots, qu’on appelle arlequins,
Faits de restes mêlés. Prenez tel livre en vogue ;
Examinez-le bien, y compris le prologue ;
Qu’y trouvez-vous ? un tas de rêves déréglés,
Ne plaisant qu’aux benêts, par la mode aveuglés,
Un salmis de tableaux, d’intrigues ordurières
Faites pour les portiers et pour les chambrières,
Un indigeste amas de personnages faux,
Bons au plus à charmer l’oisiveté des sots,
Un fade enchaînement de scènes puériles,
Superfétations de cervelles stériles,
Et qui, peine infligée à leurs débordemens,
Ne procéderont plus que par avortemens.
Et le style ! à ce point je reviendrai sans cesse ;
N’est-il pas lourd, pâteux, et de la pire espèce ?
Approchez tant soit peu : c’est ébauché, c’est laid ;
On dirait un décor, et c’est peint au balai.
Parfois la phrase affecte et l’audace et l’ellipse,
Prend un ton solennel, un air d’apocalypse,
Puis ailleurs elle va d’un pas traînant et mou,
Cheval estrapassé de fiacre ou de coucou.

L’argent ! l’argent ! dit-on, c’est le nerf du génie ;
Selon qu’il est payé, l’homme vaut. Je le nie.
Des faiseurs en nos jours les salaires sont grands ;
Ce sont des monceaux d’or et des cent mille francs ;
On vante des journaux la fabuleuse enchère :
Je trouve qu’ils nous font pourtant bien maigre chère.
Combien de nos aïeux nous avons forligné !