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multitude de projets, dont quelques-uns offrent un intérêt grave, ont été longuement étudiés dans ses bureaux depuis plusieurs mois. Espérons qu’ils obtiendront à la tribune plus de succès que certains projets de l’an passé. Espérons aussi que M. le ministre des finances réussira dans son emprunt. Tous les partis s’accordent pour exprimer la confiance qu’inspirent les lumières et la parfaite loyauté de M. Laplagne. Si cet acte important de sa carrière administrative n’a pas tout le succès que nous désirons, bien certainement, nous seront plus disposés à accuser les circonstances que le bon vouloir et la pénétration du ministre. D’ailleurs, dans l’opposition que nous croyons devoir faire sur certains points à la politique du ministère, ce n’est pas notre habitude, on le sait, de nier le talent ou d’incriminer les intentions. Nous avons dit bien souvent aux ministres du 29 octobre qu’ils valaient mieux que leur politique ; nous espérons, pour eux, que l’avenir se chargera de le démontrer.

Si le ministère voit le parti conservateur s’ébranler, il est juste de dire cependant qu’il reçoit, depuis plusieurs jours, des renforts inattendus. Les radicaux et les légitimistes, accompagnés de M. de Lamartine, semblent disposés à remplir les vides de l’armée ministérielle. Le ministère accueille avec plaisir ces nouveaux auxiliaires. Peu lui importe la nuance des boules, pourvu qu’elles lui donnent la majorité.

Le manifeste de M. de Lamartine ne pouvait manquer d’obtenir un grand succès dans le monde ministériel. M. de Lamartine attaque, il est vrai, la royauté de juillet ; il emploie contre le langage des factions ; il accuse le système, mais il n’accuse pas le ministère. Il déclare que le système est hypocrite, vénal, corrupteur, menaçant pour la liberté, avilissant pour le pays ; tout cela est fort injurieux pour le système, mais pour le ministère, nullement. M. De Lamartine veut tout réformer, loi électoral, loi de la presse, loi des fortifications, loi de régence ; mais il ne juge pas nécessaire, quant à présent, de réformer la politique du cabinet : qu’importe dès-lors à celui-ci le goût de M. De Lamartine pour les réformes ? L’illustre poéte voudrait briser aujourd’hui les barrières de 1815 ; il demande les frontières du Rhin et des conquêtes sur les bords de la Méditerranée. Voilà une politique bien aventureuse. Cependant parlez à M. De Lamartine des affaires de Taïti et du Maroc, il vous dira que ce sont là de bien petites choses ; on a fait beaucoup de bruit pour rien ; ce sont des tempêtes dans un verre d’eau. Quelle admirable défense du ministère ! Au fond, l’honorable député de Mâcon témoigne assez visiblement qu’il a peu d’estime pour les ministres du 29 octobre ; mais il abhorre le centre gauche, il est plein de fiel et de malice contre M. Thiers ; il ramasse contre l’historien de la révolution et de l’empire, contre l’homme d’état qui a rendu de si grands services au gouvernement de juillet, des calomnies usées, dont les journaux ministériels ne veulent plus ; il attaque même les conservateurs dissidens : quelle bonne fortune pour le cabinet ! Aussi, voyez comme les journaux ministériels se sont empressés de reproduire le manifeste de M. De Lamartine, quelques-uns même avec éloge !