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pas à l’ironie de le prononcer. Sût-on d’ailleurs faire revivre, par impossible, et ressaisir quelques-unes des finesses discrètes et des graces qu’il représente, on peut grandement douter que l’emploi en fût applicable dans les jours aussi rudes que les nôtres, et quand le siècle de fer de la presse est véritablement déchaîné. On dirait que les injures à l’O’Connell ont passé le détroit, et qu’elles sont à l’ordre du jour en France : c’est là, je crois, dans son vrai sens cette fameuse brigade irlandaise qu’il se vantait de nous prêter. On a beau faire et se dire de prendre garde, le ton de chacun grossit un peu, et se monte toujours plus ou moins sur celui des interlocuteurs ; les voix les plus pures sont vite sujettes à s’enrouer, si elles essaient de parler dans le vacarme. Tout critique a sur ce point plus que jamais à se surveiller. Il y a quelques années déjà, cette Revue fut objet d’attaques violentes et tout-à-fait sauvages, parties d’une feuille obscure que rédigeaient de jeunes débutans. J’en avais pris sujet d’un article intitulé les Gladiateurs en littérature, que le peu d’importance des attaquans et l’inconvénient de paraître les accoster m’engagèrent ensuite à garder dans le tiroir : « Il est désastreux, leur disais-je, de débuter ainsi en littérature. Lorsqu’encore on aurait raison sur quelques points, on se perd soi-même par un premier excès, si l’excès sort de certaines bornes. Il est des forfaits littéraires aussi ; il y a du 93 ; on ne revient pas du fiel qu’on a tout d’abord versé ; on gâte son avenir, on altère, on viole à jamais en soi l’esprit même de cette culture, hélas ! de moins en moins sentie et qui a fait le charme des plus délicats parmi les hommes. Vauvenargues a dit qu’il faut avoir de l’ame pour avoir du goût. Mais, pour cela, une certaine générosité de cœur ne suffit pas, c’est une générosité civilisée qui y prépare… » Et encore, pour exprimer le regret et le dégoût d’avoir à s’occuper de ce qui est si loin et de ce qu’on rencontre si près des muses, j’ajoutais en terminant : « Bien mieux vaudrait ignorer. Parler trop long-temps de ces choses, ou seulement en connaître, c’est déjà par malheur y tremper ; c’est violer soi-même le goût, prêter à son tour l’oreille au cyclope ; c’est peut-être faire la police des lettres, mais à coup sûr en corrompre en soi la jouissance. »

Telle était ma pensée d’alors, telle aujourd’hui et plus confirmée elle est encore, à l’aspect de ce que nous voyons. Mais ici on n’a plus affaire à de jeunes cyclopes, ce sont des Ajax tout grandis qui ne craignent pas de faire acte de gladiateurs, et devant lesquels il ne fallait pas craindre à son tour de s’exprimer. Leurs déportemens se jugent d’ailleurs par le fait même ; au bout de quelques jours, le public, d’abord