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le plus précieux pour l’histoire de cette époque. Bien des pages sont minutieuses ou insignifiantes ; mais après avoir secoué la petite poussière brillante des anecdotes, on peut toucher de féconds résultats. On reconnaît par exemple que le sentiment national, de 1700 à 1780, en Angleterre, c’est la ligue du Nord, à la tête de laquelle se met la Grande-Bretagne ; on sacrifie tout à cela. Pourvu que l’on se venge de Louis XIV et du Midi, on est content ; cette vengeance s’achète par tous les vices et toutes les folies. George Ier se couvre de mépris ; George II, quoique brave, se montre fort ridicule. George III, meilleur que les deux autres, ne se détache par aucune supériorité brillante. Ces princes n’ont pas même le mérite d’être Anglais ; leur parlement et leur peuple ne tiennent en rien à eux. On exècre le premier, on rit du second, le troisième est toléré. Cependant les affaires marchent, tout prospère, tandis que Louis XV avec tant d’esprit, Louis XVI avec tant de vertus, aboutissent, vous savez où. Quelle singularité !

Qui l’a expliquée ? Personne jusqu’ici ; feuilletez avec soin les dépêches de Marlborough, le général de Guillaume, et les mémoires secrets de Walpole, vous verrez que la famille des Georges et les débats parlementaires sont bien peu de chose dans tout cela. Il s’agit du mouvement total de l’Europe, du Nord qui s’élève et du Midi qui s’abaisse. Les rois de la dynastie hanovrienne ont beau faire des fautes, des sottises, même des crimes, ils sont protestans et septentrionaux ; ils servent de couronnement et d’ornement visible à la machine constitutionnelle, et cela suffit ; ils dépendent de l’Angleterre, qui d’un seul coup d’épaule peut les renvoyer à leur électorat. Plus la France les méprise et les dédaigne, plus l’Angleterre les garde avec soin. Elle voit sa sûreté dans cette situation ; tout ce qu’elle craint, c’est un rapprochement de la France et du trône anglais. Cette ascension septentrionale était si réelle, si profonde, si vive, que la France révolutionnaire et républicaine n’a pas pu se réconcilier avec l’Angleterre constitutionnelle ; celle-ci a vu dans la république nouveau-née, non une amie, mais une ennemie devenue plus redoutable. C’est le secret de toute la situation et de la guerre qui a divisé l’Europe pendant vingt-cinq ans.

Telles sont les grandes masses qu’Horace Walpole n’a pas indiquées, qui résultent de l’histoire secrète et microscopique dont il a donné les détails trop épigrammatiques de temps à autre, mais si piquans. « La postérité que j’amuserai, dit Horace dans une de ses lettres à