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de zélés partisans. Selon l’une de ces opinions, l’Angleterre est l’ennemie naturelle, l’ennemie permanente de la France. Vouloir, dans quelque circonstance que ce soit, agir d’accord avec elle, c’est s’exposer de gaieté de cœur à une trahison ou du moins à une déception infaillible. Selon l’autre, l’Angleterre est pour la France, telle que 1830 l’a faite, la seule alliée possible, une alliée nécessaire et sans laquelle elle n’aurait aucune chance de maintenir son rang dans le monde. Se séparer de l’Angleterre, quels que soient les évènemens, c’est se condamner inévitablement à tous les échecs, à toutes les humiliations. Un mot sur chacune de ces deux opinions.

A la première, on peut concéder que l’histoire, les intérêts, les sentimens des deux peuples, ont élevé entre eux une barrière que la politique aura toujours beaucoup de peine à renverser ; on ne doit pas aller au-delà. S’il n’existait à présent dans le monde que deux grandes puissances à la suite desquelles se rangeassent toutes les autres, la situation serait simple ; mais il n’en est pas ainsi. Au lieu de deux grandes puissances, il en existe cinq, six même, si l’on veut passer l’Atlantique. Or, les relations de ces puissances entre elles sont nécessairement complexes. Il peut arriver, par exemple, que des antipathies, que des rivalités très réelles soient balancées, emportées même par des antipathies et des rivalités plus fortes. Il peut arriver que là où les intérêts sont habituellement divergens, il surgisse un intérêt commun, plus considérable que les autres et qui doive les dominer. Il peut arriver que de cette façon d’anciens ennemis deviennent alliés et d’anciens alliés ennemis. Qui oserait dire, par exemple, que la France, après 1830, a eu tort d’accepter l’alliance de l’Angleterre quand il s’agissait d’émanciper la Belgique, de prêter secours aux populations italiennes, d’affranchir la Grèce, d’arracher l’Espagne à don Carlos ? Qui oserait dire que l’union des deux gouvernemens, s’ils eussent voulu ou pu sauver la Pologne, n’eût pas été un immense bienfait pour la civilisation générale et pour l’équilibre européen ? Est-on certain que de telles circonstances ne se reproduiront jamais ? ou, si elles se reproduisent, faudra-t-il n’en tenir aucun compte ? Ce serait là une politique étroite, aveugle, enfantine ; ce serait là la politique d’un pays qui n’aurait plus ni lumières ni bon sens.

Quant à la seconde opinion, si elle se bornait à soutenir qu’à telle ou telle époque l’alliance de l’Angleterre peut être préférable à toute autre alliance, il n’y aurait rien à dire ; mais quand, au lieu de présenter cette alliance comme utile, elle la donne comme nécessaire, comme indispensable, sait-elle bien où elle va ? Si la France ne peut absolument