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se passer de l’alliance de l’Angleterre, il faut qu’elle subordonne à cette nécessité suprême toute sa politique. Il faut que, plutôt que de rompre l’entente, elle cède aux prétentions les plus injustes, les plus exorbitantes. Il faut, en un mot, qu’elle ne vive plus d’une vie propre ; il faut qu’elle cesse de rouler librement dans son orbite et qu’elle devienne l’obscur satellite de son ancienne rivale. Est-ce là ce que l’on entend ? Est-ce la condition qu’on prétend faire à la France de 1789 et de 1830 ? Je n’hésite pas à le dire, si quelque chose peut rendre en France l’alliance anglaise impopulaire, odieuse, détestable, ce sont de telles idées, ce sont de tels argumens. La France peut quelquefois s’assoupir au sein de la prospérité matérielle ; mais lors même qu’elle semble dormir, sa fierté veille et se révolte contre ceux qui font si bon marché d’elle. On en a eu plus d’un exemple depuis quatre ans. On en aura de plus significatifs, si l’on ne s’arrête pas dans une si triste voie.

Des deux opinions dont il s’agit, l’une me paraît donc absurde, l’autre absurde et honteuse. La vérité est au milieu. Il est dans la chambre des pairs un homme d’état, M. de Broglie, dont les sympathies pour l’Angleterre sont bien connues, et qui soutient le ministère. Cet homme d’état, lors de la discussion de l’adresse, n’en trouvait pas moins fort étrange qu’on se vantât, soit d’avoir posé les fondemens de l’alliance anglaise, soit de l’avoir rétablie. « La France, disait-il, poursuit ses intérêts par toute l’Europe, isolément, pour son compte. Elle est en paix avec tout le monde, elle entretient des relations pacifiques avec toutes les puissances ; mais, à mon avis, elle n’est et ne peut être l’alliée de personne. » L’opposition dans l’une ou l’autre des deux chambres n’a jamais dit autre chose. Ainsi, après avoir établi que toute alliance a ses inconvéniens et entraîne ses sacrifices, « une bonne politique, disait M. Thiers le 21 janvier dernier, ne doit jamais s’engager pour l’avenir… Quant à moi, je ne m’engage ni moi ni mes amis contre aucune alliance. — Il n’y a d’alliance, ajoutait-il, que pour des objets déterminés et pour un but positif… Quand on rencontre de la réserve, il faut de la réserve. Quand on garde son indépendance vis-à-vis de vous, il faut garder votre indépendance. » Et ce qu’il reprochait au ministère, c’était de n’avoir gardé dans ses relations avec l’Angleterre ni indépendance ni réserve.

Il convient donc, si l’on veut être dans le vrai, d’écarter toute idée absolue, toute vue systématique, et d’interroger les faits. Or, si l’on veut soumettre à une analyse un peu rigoureuse la situation de la France et celle de l’Angleterre, on arrive, je pense, à cette conclusion,