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personne, la France peut oublier le rôle que l’Angleterre a joué, il y a un demi-siècle, dans la coalition contre-révolutionnaire. Aujourd’hui bien des choses font espérer que, si ses intérêts commerciaux ne s’y opposaient pas trop, elle pencherait plus volontiers vers le principe libéral. On dit, je le sais, que c’est une illusion, et que, si une guerre d’opinion éclatait, il y aurait entre la France, tête de la démocratie en Europe, et l’Angleterre, tête de l’aristocratie, plutôt antagonisme que sympathie. Cela serait vrai, si l’aristocratie anglaise actuelle était comme l’ancienne aristocratie vénitienne affranchie de tout contrôle et maîtresse absolue de ses mouvemens. On sait qu’il n’en est point ainsi. L’aristocratie anglaise gouvernait avant le bill de réforme, et gouverne encore aujourd’hui, mais à une condition, celle de ménager, de respecter, quelquefois même de flatter l’opinion publique. Or, en Angleterre, comme partout, le fleuve coule peu vers les idées absolutistes. Qu’on se rappelle l’enthousiasme avec lequel, en 1830, fut accueillie sur tous les points de l’Angleterre, et presque dans toutes les classes, la nouvelle des trois jours parisiens. Le duc de Wellington et sir Robert Peel étaient alors ministres, le duc de Wellington si illustre, sir Robert Peel si habile, et le bill de réforme n’avait pas enlevé à l’aristocratie une partie de ses prérogatives. Pense-t-on qu’il eût été facile au duc de Wellington, à sir Robert Peel, à l’aristocratie d’engager l’Angleterre contre la France, et de recommencer la vieille lutte ? Pourquoi ce qui est arrivé pour la France n’arriverait-il pas pour l’Italie, pour l’Allemagne, pour la Pologne, si l’Italie, l’Allemagne ou la Pologne avaient aussi leurs trois jours ?

Le jour où une guerre d’opinion s’allumerait en Europe, le principe libéral aurait pour lui la France certainement, et l’Angleterre peut-être. Dans ce dernier cas, l’alliance de la France et de l’Angleterre redeviendrait non-seulement pour chacun des deux pays, mais pour la grande cause de l’humanité et de la civilisation, un bien incontestable. De 1830 à 1836, quand une telle alliance paraissait établie, les gouvernemens absolus ne s’y sont pas trompés. De là tant d’efforts impuissans d’abord, heureux ensuite, tantôt auprès de l’un, tantôt auprès de l’autre, pour détruire une union redoutable et menaçante. De là la grande croisade européenne de 1834 contre lord Palmerston et celle de 1840 contre M. Thiers. De là enfin l’immense intrigue dont le résultat final a été, tout en humiliant la France, de brouiller les deux peuples, et d’enlever dans les deux pays le pouvoir à l’opinion libérale ; mais cette opinion n’a pas dit son dernier mot ni perdu sa dernière partie. Le jour viendra, il est proche peut-être, où elle