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intervalle qui ne peut être comblé qu’à l’aide d’autres marines. Or la marine de l’Espagne est perdue, celle de la Hollande existe à peine, celle de l’Autriche ne fait que de naître. Combien n’est-il donc pas important pour la France que, de l’autre côté de l’Atlantique, il y ait un peuple hardi, aventureux, excellent navigateur, qui, à tel jour donné, puisse lui venir en aide ! Combien n’est-il pas désirable que rien n’arrête ce peuple dans son essor, et qu’il arrive bientôt à ce degré de puissance qui fait qu’on porte les yeux au dehors et qu’on prétend exercer partout son influence !

Je sais que cette manière de poser la question parait en Angleterre fort étrange et quelque peu scandaleuse. L’Angleterre peut (c’est M. de Jarnac. qui nous le dit), au premier différend qui s’élève, supputer les forces de la France, compter ses alliés et les nôtres, faire appel aux passions contre-révolutionnaires de l’Europe, préparer en un mot une nouvelle coalition ; la France ne peut pas envisager toutes les chances d’une rupture, et rechercher, dans ce cas, quels seront ses amis et ses points d’appui. Tout cela ne saurait empêcher la France et l’Amérique de comprendre qu’elles doivent se donner la main, et que leur cause est la même. Indépendamment de toute alliance, de tout concert, de toute entente, la grandeur de la France est une force pour les États-Unis, la grandeur des États-Unis une force pour la France. Rien de plus incontestable dans le monde, rien de plus évident.

Jusqu’à ces derniers jours, j’avais donc refusé de croire que la légation française et la légation anglaise au Texas et au Mexique eussent reçu les mêmes instructions, et dussent peser également pour prévenir un évènement désiré à Washington et redouté à Londres ; j’avais refusé de croire que, pour rétablir l’entente partout compromise, on eût précisément choisi le lieu où elle est déplorable et ruineuse ; j’avais refusé de croire qu’on eût fait au nouveau traité sur le droit de visite un tel sacrifice, et servi aussi imprudemment, aussi follement, une cause qui n’est pas la nôtre. Le discours de M. le ministre des affaires étrangères m’a tristement détrompé. Il est certain aujourd’hui que la France travaille, d’accord avec l’Angleterre, contre l’annexion du Texas aux états de l’Amérique du Nord. Et que, pour justifier une si incroyable conduite, on ne vienne pas parler de je ne sais quel équilibre à maintenir en Amérique entre les États-Unis et l’Angleterre ! Il n’y a pas plusieurs équilibres, celui-ci en Europe, celui-là en Asie, le troisième en Amérique ; il y a un équilibre général dont l’Angleterre et les États-Unis font partie. A laquelle de ces deux puissances