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convient-il de donner un poids nouveau dans l’intérêt de l’équilibre même et dans l’intérêt de la France ? Si c’est à l’Angleterre, le ministère a bien agi ; si c’est aux États-Unis, il a commis la plus grande faute qu’il eût jamais commise. M. de Beaumont, M. Jules de Lasteyrie, l’ont dit, et on ne saurait trop le redire, le Texas ne peut être vraiment indépendant ; il ne peut être qu’anglais ou américain. Le ministère français ne veut pas qu’il soit américain !

Cette question si grave reviendra sans doute, et l’opposition fera son devoir. Je veux aujourd’hui seulement bien constater, bien établir quelle doit être, en cas de conflit entre l’Angleterre et les États-Unis, la vraie politique de la France. La France, si elle le veut, peut rester neutre ; elle ne peut, sans abdiquer toute raison et toute prévoyance, devenir l’alliée de l’Angleterre contre l’Amérique.

En Orient, la situation est tout autre. Quand on y regarde de près, on n’a pas de peine à se convaincre que, dans cette partie du monde, il n’y a point deux politiques pour la France. Tant que l’empire ottoman subsiste, défendre d’une main cet empire contre d’ambitieux protecteurs, et travailler de l’autre à émanciper les rayahs ; le jour où l’empire ottoman s’écroulerait, s’efforcer d’en rapprocher les débris selon les convenances nationales, et former ainsi un ou plusieurs états vraiment indépendans : tel est le double but que la France doit se proposer, telle est la double tâche qu’elle doit entreprendre. Au milieu de tant de populations diverses par l’origine, par la religion, par la langue, par les intérêts, c’est sans doute une œuvre difficile. C’est la seule œuvre honnête et sage, la seule qui puisse rendre ces belles contrées à la civilisation sans les livrer à la tyrannie, la seule aussi qui puisse prévenir une guerre universelle, et consacrer, sans un remaniement complet de l’Europe, le maintien de l’équilibre. Sur ce point, il y a, je pense, en théorie du moins, peu de dissentiment parmi les hommes d’état qui ont gouverné, qui gouvernent ou qui sont appelés à gouverner la France. Maintenant, cette politique sera-t-elle également celle de l’Angleterre ? Nul ne saurait le dire. Ce que l’Angleterre préfère en Orient, c’est bien évidemment une Grèce petite, faible, agitée, une Turquie impuissante, épuisée, décrépite ; c’est, en un mot, ce qui existe et ce que la diplomatie s’applique si bien à faire durer. Mais à côté de l’idéal anglais, il y a, on le sait, l’idéal russe, qui est tout différent. Depuis plus d’un siècle, la Russie, d’un pas lent, mais ferme, avance, sans jamais reculer, vers le but suprême de son ambition, la possession du Bosphore et de la Turquie européenne. Pour parvenir à ce but, rien ne l’arrête, rien ne lui coûte, et si parfois