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sous-loué aux paysans, qui en prennent à ferme une étendue proportionnée à leurs moyens, et ils en paient le prix en redevances qu’ils acquittent soit en numéraire, soit en nature. La terre est également donnée à des mosquées ou dervicheries à titre de fief ; elle constitue le revenu de ces établissemens religieux et sert à les entretenir comme à payer les imans, ou autres desservans. C’était précisément le cas pour Khorsabad, et il fallut traiter avec les chefs de la mosquée principale d’Arbil, l’ancienne Arbelles, qui est à deux journées de Mossoul. Il est assez piquant de voir les palais assyriens devenus le domaine d’une mosquée musulmane, et les ombres pétrifiées de Sardanapale ou de Nabuchodonosor payer une redevance au culte de Mahomet. Les imans, ravis de gagner à ce marché quelques centaines de piastres, en permettant de sonder un terrain qui leur resterait après, consentirent facilement à le laisser creuser en tout sens. Le cadi prit acte de la convention entre les parties, apposa son sceau, reçut quelques piastres, et, désormais maîtres du sol, nous pouvions, le consul et moi, poursuivre la recherche de l’antiquité assyrienne jusqu’à ses profondeurs les plus cachées. Aussitôt que tous ces préliminaires, qui assuraient notre liberté d’action, furent terminés, j’allai m’installer sur les lieux mêmes, et dans une maison bâtie en terre par les soins de M. Botta. Cette misérable maison, vraie cahutte, avait été le sujet d’une discussion très grave entre le consul et le pacha. En dépit de toutes les représentations qu’on put lui faire, le pacha persistait à prendre une chétive construction dans laquelle il n’était pas entré une pierre, pour la kalèh ou forteresse destinée sans doute à contenir les trésors trouvés et à les mettre à l’abri d’un coup de main, que lui auraient conseillé très probablement sa rapacité et sa sordide avarice. Nous eussions eu peut-être le plaisir de le voir reculer avec colère devant les immenses blocs de pierre que, nous Européens, nous avions la folie d’exhumer à grands frais, et que sa brutale ignorance lui aurait fait mépriser, ou transformer en plâtre, ainsi qu’il l’avait déjà fait de plusieurs débris trouvés au village de Neïnivèh ; mais la mort l’enleva au milieu de ses richesses arrachées aux malheureux habitans que la vénalité de la Porte avait confiés à son gouvernement. Les pachaliks de Mossoul et de Bagdad se trouvent encore placés en dehors du hatti-cherif ou décret impérial qui a, depuis quelques années, régularisé l’administration des pachas. Autrefois ces fonctionnaires ne rendaient aucun compte à la Porte de leur gestion ; ils étaient simplement tenus de payer un nombre de bourses calculé d’après la quantité des revenus du pays qu’ils administraient.