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régions plus élevées, à un rang plus solitaire et plus digne d’envie. Malgré mes craintes, malgré ma défiance, j’ai lu avec empressement le volume de M. Charles Beck. Lorsque je vis l’auteur publier ses vers au milieu de tout ce bruit, je pus regretter pour son talent la résolution qu’il avait prise ; mais j’étais avide de savoir quel caractère propre, quelle nuance particulière il donnerait à son inspiration. Dans le groupe des poètes politiques, M. Freiligrath représente les efforts méritans d’un parti sérieux, M. Hoffmann de Fallersleben chante l’esprit joyeux des tavernes, M. Herwegh et M. Prutz ont emprunté à la jeune école hégélienne ses arrogantes allures, M. Henri Heine est le maître des sceptiques et des dilettanti ; chaque groupe avait ainsi son représentant, chaque compagnie avait son capitaine. Or, quel devait être le rôle de M. Charles Beck ? Cette question ne manquait pas d’intérêt, puisque nous savions déjà que le jeune écrivain était fils des poétiques contrées du Danube et qu’il appartenait à la forte race des Maghyares. Un des caractères les plus frappans de cette poésie politique, il faut bien le reconnaître, c’est le soulèvement universel et spontané qui l’a produite, ce sont les échos sonores qu’elle a éveillés aux quatre points de l’horizon. Tous ces poètes se sont levés en même temps de toutes les parties de l’Allemagne. Certes, les mouvemens de l’esprit ne se font pas toujours avec un ensemble très harmonieux chez les peuples germaniques ; la science et la liberté y varient beaucoup selon les degrés de latitude ; l’homme du sud et l’homme du nord ne se rencontrent guère sur les mêmes chemins de la philosophie et de la libre pensée. Quelle distance de Vienne à Berlin ! Eh bien !! cette unité de la patrie, qui doit être préparée par l’unité intellectuelle et qui est encore si loin d’être réalisée, il semble qu’elle existe aujourd’hui, pour un moment, dans la poésie politique. Les pays où la science est le moins libre, les peuples les plus endormis n’ont pas été plus mal représentés que les autres dans cette assemblée des trouvères ; or, voici une province nouvelle qui vient d’y envoyer son député. Nul n’a encore parlé de la Hongrie ; celui qui recevra cette mission pourra aisément demeurer original et se créer une place à part. Il y a dans cette contrée une vie inquiète qui voudrait se dégager ; les peuples qui l’habitent se réveillent l’un l’autre, la fermentation sourde et active qui travaille la grande famille slave depuis les frontières de l’empire ottoman jusqu’au cœur de la Russie, depuis l’Adriatique jusqu’au Dniéper, n’a point laissé en repos les races ardentes qui se partagent le territoire de la Hongrie ; des nationalités ennemies sont aux prises, des langues, des littératures rivales, se livrent un