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combat passionné, et la libre pensée, éveillée par tout ce bruit, profite de ces luttes fécondes. Je me disais que le jeune poète arrivé des bords du Danube au milieu des tribuns du nord n’aurait certainement pas négligé ces curieux sujets, et qu’il lui serait facile d’éviter les lieux communs à la mode, les banales déclamations. Ma surprise fut grande, lorsque, feuilletant le recueil de M. Beck, je vis qu’il avait trompé mon espoir. Je reconnaissais bien l’écrivain hongrois, le poète maghyare, dans cette langue inspirée, dans cette fantaisie éclatante, dans cette imagination à moitié orientale ; mais quand l’auteur arrive aux sujets purement politiques, je regrettais le caractère national que j’avais espéré y découvrir. Ouvrons ce livre toutefois, nous verrons mieux en regardant de plus près. Il faut suivre M. Beck depuis ses premiers pas, depuis ses brillans débuts, jusqu’à ce poème politique qu’il a écrit tout récemment, et dont il a voulu armer son recueil avant de le jeter dans la mêlée bruyante.

M. Charles Beck débuta, il y a sept ans déjà, en 1838, par un recueil poétique intitulé les Nuits. Ce début fut remarqué. Au milieu de ces innombrables volumes de vers que chaque printemps apporte et qui meurent long-temps avant l’automne, le recueil de M. Beck lui marqua immédiatement sa place ; on avait reconnu l’accent de la Muse. Ce livre assurément n’était pas irréprochable, la critique pouvait adresser au poète plus d’une objection sérieuse ; mais sous les bizarreries de la forme, sous l’exubérance des paroles, il était facile de sentir une pensée ardente, un cœur sincèrement ému, une ame de poète.

Pourquoi ce titre : les Nuits ? Ce ne sont pas les méditations du triste Young qui préoccupent M. Beck ; sa pensée est vaillante, son ame est fière, la muse qui l’inspire a besoin d’action et de mouvement. D’ailleurs, à ce premier titre, le poète ajoute ces mots : Chants armés de cottes de mailles ; Gepanzerte Lieder. D’où vient donc cette opposition, qui apparemment n’a pas été imaginée sans dessein ? Quel est le sens de cette bizarre antithèse ? De ces deux titres, pourquoi l’un semble-t-il indiquer je ne sais quoi de voilé et de mélancolique, tandis que l’autre sonne comme une fanfare et annonce la bataille prochaine ? Lorsque Rückert écrivait aussi des sonnets cuirassés, c’était au milieu des luttes de 1813, et il armait ses vers à la clarté du soleil. Encore une fois, quelle a été l’intention du poète ? Je ne saurais le dire ; mais si je voulais voir dans ce titre un résumé assez exact de ses qualités et de ses défauts, je n’aurais pas de peine à le découvrir. La force, l’énergie des idées ne manque pas chez M. Charles Beck, son ame est