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loin avec fracas. C’est au milieu de ce tumulte de la nature que l’esprit révolté du penseur cède au délire qui l’agite et jette à Dieu ses reproches indignés ; il l’accuse de haïr le genre humain. Peu à peu cependant, son cœur s’apaise ; il songe à ses jours écoulés, à tous les desseins généreux qui ont enthousiasmé sa jeunesse ; alors, se rappelant qu’il est né juif, qu’il est seul, qu’il n’a point de frères, il recommence sa plainte, mais avec calme, avec une sorte d’attendrissement plein de noblesse. « Tu ne m’as pas donné de patrie, ô mon Dieu ! tu m’as fait naître d’une race que je hais ; oui, je la hais, non pas parce qu’elle est maudite, mais parce que son cœur ne bat pas et qu’elle ne sait que chercher de l’or dans l’immonde poussière où elle vit. Alors j’ai voulu trouver une patrie en Allemagne ; j’ai appelé des frères, mais ils ne pouvaient s’unir à moi ; trop de préjugés, trop de rancunes, trop de haines séculaires nous séparaient. Souvent une voix secrète, dans mes rêves, me criait : « Sois chrétien ! va te jeter au pied de la croix ! voilà le Sauveur, celui qui unit, celui qui réconcilie les nations divisées. » J’ai voulu le faire, ô mon Dieu ! mais ils ne m’ont pas cru. Et puis, tu le sais, mon cœur se révoltait. Quoi donc ? est-ce que je dois demander grace ? est-ce que je n’ai pas droit à la justice ? Non, non, je ne me soumettrai point. Leurs livres nous condamnent ; eh bien ! écrivons une nouvelle bible. » Louis Boerne prend la plume, et il écrit.

Le premier chapitre de son livre, ce sera la Création. Qui donc va créer ? qui va produire un monde ? Le penseur, le poète. Le poète est Dieu, s’écrie le chercheur enthousiaste ; c’est lui qui de rien peut faire sortir un nouvel univers. Que ses pensées jaillissent de son esprit en feu, que des croyances meilleures soient enfantées par son cœur embrasé d’amour, et que la face de la terre soit changée ! Mais il ne suffit pas que son intelligence travaille, qu’elle conçoive, qu’elle jette au milieu des hommes de sublimes enseignemens ; hélas ! personne ne l’entend ; il n’a pas de disciple, il ne rencontre pas une volonté qui veuille s’unir à la sienne, pas un cœur résolu qui se dévoue à prêcher sa foi. Ce n’est pas tout encore : ces idées, ces principes, ces dogmes nouveaux qu’il a répandus dans le monde, non-seulement ils n’ont pu trouver une ame qui les aime, mais errans par la terre entière, repoussés partout, insultés, persécutés, les voilà, ces pauvres fils de son cœur, les voilà qui reviennent sous le triste toit du poète, et qui l’entourent en poussant des gémissemens. « Pourquoi nous as-tu trompés ? Pourquoi nous as-tu dit : Allez ! allez ! votre visage est plus beau que celui des anges ; et quand les hommes vous verront dans votre