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mais trop tard : je ne suis qu’un homme faible et présomptueux, un misérable ouvrier sans génie et sans cœur. » Mais, en même temps qu’il renonce à ses hardis projets, que de plaintes il adressera à cet enthousiasme qui l’a séduit ! « O poésie ! ô magicienne ! C’est toi qui as fait naître de ma pensée ces pauvres créatures que le monde rejette. Tu es venue à moi si belle et le front si charmant ! J’ai pris les dons que tu m’apportais, j’ai cru que tu voulais parer ma jeunesse. Ta robe, ô Déjanire, m’a brûlé le cœur ! »

Tout ce combat invisible a été étudié, analysé, décrit avec une vivacité émue qui fait honneur au poète. M. Beck a trouvé des accens pleins de passion et d’énergie pour peindre ces âcres voluptés et ces douleurs cuisantes de la réflexion solitaire aux prises avec une tâche grandiose. Ce qui va suivre est moins heureux : jusqu’ici nous n’avons vu que la préface, l’introduction ; maintenant le héros de M. Beck, échappé au découragement qui l’accablait, se décide enfin à écrire cette bible nouvelle qu’il nous a promise. Il faut la feuilleter rapidement.

Chaque chapitre de cette bible meilleure porte en effet un titre emprunté à l’Écriture ; mais le récit, détourné du sens qu’il avait dans le texte consacré, devient un symbole sous lequel se produisent hardiment les prédications socialistes de Louis Boerne. Toute cette partie rappelle l’Évangile des Laïques de M. de Sallet. On sait comment M. de Sallet (nous en avons parlé ici même) a contrefait l’Évangile dans un poème bien connu en Allemagne ; le récit de saint Luc, transformé par l’auteur, devient le texte de l’enseignement hégélien ; chaque scène, chaque épisode du divin livre, chaque phrase du sermon de la montagne est librement interprétée, et se change en une prédication que pourraient prononcer M. Strauss ou M. Feuerbach. C’est à peu près ce qu’a fait M. Beck ; seulement, au lieu de M. Strauss, c’est Louis Boerne qui fournit les idées nouvelles ; au lieu de la philosophie hégélienne, ce sont les théories sociales du célèbre publiciste qui sont substituées sans façon aux paroles des livres saints. Il y a pourtant quelque chose de plus dans le poème de M. Charles Beck. M. de Sallet reproduisait avec une fidélité souvent pleine de grace le récit de saint Luc ou de saint Jean, et il se contentait d’y ajouter un poétique commentaire, afin de s’approprier les belles paraboles du lac de Nazareth, les scènes sublimes du jardin des Oliviers. Le héros de M. Beck est plus aventureux ; il lui arrive maintes fois de rectifier ouvertement la Bible ; il la recommence, il la corrige, il en veut faire une contrepartie audacieuse. Son titre est certainement justifié ; c’est tout-à-fait