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ces contrées. Bohêmes et Hongrois, Tchèques et Maghyares, sont aux prises, depuis plusieurs années déjà, sur le champ de bataille de l’intelligence. Au milieu du mouvement qui travaille la grande famille slave, la Hongrie a vu se former des partis ardens qui se disputent des droits également sacrés. Quand la Bohême ranima chez elle le sentiment national, quand elle s’efforça de ressusciter sa vieille langue, sa vieille littérature, l’enthousiasme des Slaves de Bohême dut pénétrer dans les pays voisins et communiquer les mêmes espérances, les mêmes ambitions, à leurs frères de Hongrie. C’est ce qui arriva en effet, et la lutte qui s’engagea dure encore et durera longtemps. Qui l’emportera du Slave ou du Maghyare ? Nul ne le sait encore ; mais sur ce terrain la lutte est permise aux poètes, aux publicistes, aux orateurs, et déjà, de part et d’autre, on a entendu d’éclatans défis et de généreuses paroles. Il semblait même qu’un poète maghyare ne pût reculer devant ces débats ; les Slaves ont un chanteur inspiré, l’enthousiaste et intrépide Kollar, dont les vers sont des provocations que nul poète n’a encore relevées. Si M. Beck n’avait pas voulu prendre parti dans ces querelles si vives, s’il respecte les droits légitimes des Bohèmes, il pouvait cependant trouver dans le vaillant spectacle de ces deux races qui se réveillent une occasion bien naturelle pour de sévères paroles. Les poètes autrichiens n’y ont pas manqué ; l’auteur anonyme des Promenades d’un second poète viennois a salué loyalement les manifestations hostiles d’un peuple qui veut se soustraire à l’influence autrichienne et reconquérir ses traditions nationales. Encore une fois, je ne puis comprendre que ce sujet ait été négligé par M. Beck : son poème, écrit en 1838, au commencement de ces luttes, a été remanié et refait par lui l’année dernière ; mais ni dans l’un ni dans l’autre il n’y a trace de ces vives questions. Ce n’est pas moi sans doute qui recommanderai à M. Beck les sujets politiques ; mais, puisqu’il les cherche, des questions nettes, précises, valent mieux que les lieux communs et les vagues déclamations. Tout cela se passe d’ailleurs sur un théâtre tellement littéraire, le sujet est si présent, l’émotion si sincère, les réclamations des Bohèmes si pressantes, qu’il semblait impossible de se soustraire à un tel défi, et que le tableau tracé par le poète en demeure nécessairement incomplet.

Qui va là ? Un cavalier sur son cheval noir a frappé aux portes de la ville. « Compagnon, lui crie le douanier, où cours-tu si vite ? attache ton cheval à ce poteau et tu pourras entrer. » À ce brusque début du second chant, il est clair que nous ne sommes plus en Hongrie ; cette ville, c’est Vienne ; le cavalier, c’est le poète ; le cheval noir, c’est