Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/1145

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Mais, silence ! silence ! mon cœur ne roulait plus comme autrefois ses vagues fécondes, et le serpent de mon ame, l’inerte mélancolie, me prêchait ainsi : « Majestés du chant ! dis-tu. Ah ! ce sont des esclaves qui jouent mélodieusement avec leurs fers. Toi-même, tu l’as dit un jour : Le marteau de la rime ne brise aucune chaîne ; aucune barrière ne peut être incendiée par les éclairs de notre fantaisie. — Oublie les Allemands…, oublie l’humanité ; que t’importe la querelle des peuples et des rois ? Ce sont des enfans qui s’amusent. Les vois-tu ? le visage barbouillé de suie, armés de balais, ils font de gros yeux, et s’imaginent être des Goliaths parce qu’ils se haussent sur la pointe des pieds. Ils changent leur frêle voix argentine en une basse-taille qui gronde ; ils voudraient se harceler, s’effrayer mutuellement, ils se regardent, et comme ils ont peur les uns des autres, les voilà qui se sauvent bien vite dans leurs cachettes, les fiers Brutus, les terribles Césars ! »


La voix du découragement qui parle en ces termes au cœur de M. Beck caractérise assez bien, sans que l’auteur le veuille, la poésie politique dont il s’agit, et je ne sais si les confrères de M. Beck auront été très charmés de voir accuser si nettement leur jeu puéril, leur ambitieux orgueil ; mais ce n’est pas là ce que le poète a prétendu dire son découragement ne dure pas ; une voix plus hardie va le réveiller, et il prendra lui-même cette lyre qu’il vient de railler avec un bon sens si alerte. Nous sommes aux premiers jours de mai ; l’ange de la résurrection entre dans la chambre du rêveur et lui dit de l’accompagner sur le sommet de la montagne. « Je le suivis, ajoute M. Beck, comme Hamlet suit l’esprit. »

Voici le printemps, dit le céleste compagnon. Jamais la nature n’a été plus belle ; jamais la vie n’a été plus féconde et plus glorieuse. La guerre doit cesser entre l’amour et la haine, entre le doute et la foi. Il faut que la poésie recouvre tout et pacifie les ames. Comme on lie dans un champ une gerbe de fleurs, il faut que le poète lie entre eux le seigneur et l’esclave, le maître et l’élève, le puissant et le faible, et qu’il offre cette gerbe sacrée à l’Éternel. — Après ces belles espérances, après ce but lointain poétiquement entrevu, voici les conseils qui viennent : « Tu vivras sur les montagnes ; tu apprendras à connaître le Dieu que tu as oublié ; il te parlera dans les mille voix de la nature, dans le frémissement des végétations nouvelles, dans le bruit des sources rafraîchissantes, dans le libre développement des plantes salutaires qui croîtront sous tes pieds, et tu prêteras, avec l’alouette, le serment des poètes entre les mains du Créateur. Ne te mêle point au tumulte des partis ; tu seras comme le libre torrent ; le torrent n’appartient pas à cette rive ou à l’autre, il coule entre les deux rives, et toutes