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menaçait l’Angleterre et l’Europe. Il fit remarquer que si, par la faute des autres puissances, ce but n’avait pas été atteint complètement, on pouvait au moins se rassurer jusqu’à un certain point en voyant, sous le gouvernement auquel la France s’était soumise, le jacobinisme dépouillé de ce prestige de liberté qui exerçait naguère sur les autres peuples une si funeste influence. Il dit enfin que la différence des circonstances expliquait parfaitement qu’on acceptât comme suffisant ce qui n’avait pas semblé tel à une autre époque. C’était, à vrai dire, le langage de la résignation, plutôt que le témoignage d’une adhésion bien cordiale. L’ancienne opposition, entraînée par sa bienveillance pour la révolution française, donna à la paix d’Amiens une approbation plus explicite, Fox, loin de regretter comme Pitt que le rétablissement du trône des Bourbons n’eût pas été possible, s’abandonna à de violentes déclamations contre cette famille, dont la restauration, s’écria-t-il par une sorte de mouvement prophétique, aurait été suivie d’une alliance de tous les souverains contre tout peuple opprimé par un d’entre eux. Fox et ses amis eussent voulu que la signature du traité d’Amiens amenât immédiatement la réduction des forces militaires et maritimes sur le pied de paix. Pitt se joignit encore aux ministres pour démontrer l’imprudence d’une telle précipitation.

La position dans laquelle il se maintenait ainsi était grande et imposante ; elle était faite certainement pour satisfaire cet orgueil élevé qui, avec le goût du pouvoir, était la seule passion de son ame ; mais il ne pouvait la conserver long-temps. Addington, quels que fussent les liens d’amitié et de reconnaissance qui l’unissaient à son prédécesseur, quelque avantage qu’il trouvât à être ainsi appuyé par lui, devait nécessairement, à la longue, se sentir humilié de n’être considéré en quelque sorte que comme son délégué, comme le représentant provisoire de son système, de passer pour n’avoir d’autre force que celle qu’il recevait de sa protection ; il était impossible qu’il n’essayât pas d’alléger le joug et, sans rompre avec son puissant ami, de se créer une existence indépendante, de se dégager peu à peu d’une solidarité d’autant plus pesante pour lui que Pitt, nous l’avons dit, n’en acceptait pas toutes les charges. Il était également impossible que Pitt, habitué à dominer le parti du gouvernement, et qui, sans se l’avouer peut-être à lui-même, n’avait pas renoncé pour bien long-temps à la direction officielle du pouvoir, vît avec indifférence celui qu’il avait pour ainsi dire appelé au ministère essayer de créer, dans le sein de ce parti, un autre centre d’influence, et qu’il ne considérât