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une extrême surprise que Tierney venait d’être appelé au poste lucratif de trésorier de la marine. Ce choix n’était pas heureux. Malgré une facilité et un talent de parole incontestables, Tierney, jeune encore, et très inférieur aux chefs principaux de son parti, n’était pas en mesure d’assurer leur appui au ministère dans les rangs duquel il venait seul se placer. La violente opposition qu’il avait faite au ministère de Pitt, avec qui il s’était battu en duel sept ans auparavant, ne semblait pas, d’ailleurs, devoir le désigner aux préférences d’Addington. Pitt vit dans une telle alliance l’intention de ne plus garder envers lui aucun ménagement, et il en conçut un ressentiment très vif.

Le colonel Patten, membre de ce qu’on appelait la nouvelle opposition, proposa à la chambre des communes de porter contre les ministres un vote de censure fondé sur ce qu’ils auraient trompé la nation et trahi les intérêts du pays en entretenant dans le public des espérances de paix lorsqu’ils connaissaient déjà les vues agressives de la France, et en restituant à la Hollande le cap de Bonne-Espérance à une époque où le renouvellement de la guerre était déjà plus que probable. Pitt, au lieu d’appuyer ou de combattre la proposition, demanda qu’elle fût écartée par la question préalable, attendu qu’à son avis ni les reproches adressés au cabinet, ni les argumens qu’il y opposait, n’étaient suffisamment justifiés. Ce terme moyen, repoussé également par le ministère et par la nouvelle opposition dont Canning fut, en cette circonstance, l’organe le plus énergique, fut rejeté à l’immense majorité de 333 voix contre 56. Pitt se retira alors avec ses adhérens les plus intimes. Beaucoup de membres de l’ancienne opposition, qui ne voulaient ni voter en faveur d’Addington, ni soutenir une résolution conçue dans un esprit contraire à la paix, se retirèrent également. Le ministère resta ainsi en présence de ce qu’il y avait de plus impatient et de plus ardent dans le parti de la guerre la victoire, dès-lors, n’était pas douteuse ; 275 voix se prononcèrent contre la proposition du colonel Patten, qui ne réunit que 34 suffrages.

La conduite que Pitt tint en cette circonstance fut sévèrement blâmée par toutes les opinions. On trouva qu’elle manquait non-seulement de netteté et de franchise, mais encore d’habileté, et qu’il avait amoindri sa position en provoquant un vote qui avait permis de compter les voix si peu nombreuses dont il pouvait disposer d’une manière absolue. Addington, après cet éclat, put croire que son ministère était enfin affermi dans une position indépendante. Il avait déclaré que, si la chambre lui donnait tort, il obéirait, en se retirant, à la volonté qu’elle aurait ainsi manifestée. L’optimisme, si commun chez les dépositaires