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considérable du parti dont il avait été si long-temps le chef unique, il laissait dans les rangs ennemis plusieurs de ses principaux lieutenans qui l’accusaient hautement d’avoir manqué de loyauté en n’exigeant pas l’admission de Fox dans le ministère. En vain ses amis rappelaient qu’il n’y avait eu entre lui et Fox aucune promesse, aucun engagement ; en vain disaient-ils qu’après avoir sincèrement essayé de surmonter les répugnances que son ancien rival inspirait au roi, il n’avait pas dû, lorsqu’il en avait reconnu l’impossibilité, pousser plus loin une insistance qui eût jeté l’Angleterre dans l’anarchie. L’opinion publique, toujours portée à mettre en doute la bonne foi et le désintéressement des hommes politiques, n’admettait pas ces explications : en voyant Pitt lutter avec Fox contre le ministère qui venait de succomber, on s’était persuadé qu’ils avaient étroitement uni leurs intérêts et leurs chances d’avenir ; on repoussait comme de vaines subtilités les distinctions destinées à prouver qu’ils avaient pu combattre l’un à côté de l’autre sans contracter une véritable alliance, et cette alliance, on en imputait naturellement la rupture à celui qui recueillait seul les fruits de la victoire commune, à celui que ses anciens amis eux-mêmes dénonçaient si violemment. De telles accusations étaient peu logiques, et pourtant on ne peut pas dire que le sentiment dont elles émanaient fût absolument faux : ce sentiment, c’était celui de la solidarité que toute coalition établit entre les hommes et les partis qui y prennent part. Quelles que soient les précautions de forme, les restrictions de langage par lesquelles ils essaient quelquefois de décliner cette responsabilité, ils ne parviennent jamais à s’y soustraire complètement, parce que les faits surpassent en puissance les paroles les plus habilement arrangées, parce qu’on se rappelle encore les uns lorsque les autres sont depuis long-temps oubliées. Il ne faut pas sans doute en induire la réprobation absolue des coalitions ; ce qui est vrai, c’est que, comme on l’a dit des guerres civiles, si elles ne sont pas toujours le pire des maux, elles sont au moins le pire des remèdes.

Pitt en fit l’épreuve. La force morale qu’il avait acquise en consacrant vingt années de sa vie politique à la défense du pouvoir et des principes d’autorité se trouva compromise par quelques mois d’opposition. La confiance sans bornes, le respect presque superstitieux qu’il inspirait au grand parti dont il était en quelque sorte le créateur et qu’il venait de diviser, furent ébranlés. Ceux même qui se rallièrent autour de lui, étonnés d’avoir eu un moment à le combattre, crurent moins à son infaillibilité. Par une conséquence nécessaire,