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infligea un blâme formel : tant l’habitude de la victoire et ce sentiment de supériorité qui en est l’effet naturel avaient rendu la nation britannique exigeante envers ses marins !

C’est à Nelson qu’il était réservé de justifier encore une fois cette confiance fondée principalement sur le souvenir de ses précédentes victoires. N’ayant pu empêcher Villeneuve et Gravina de rentrer à Cadix, il les y poursuivit avec son infatigable activité. Il n’avait sous ses ordres que vingt-sept vaisseaux, ils en comptaient trente-trois. En exagérant à leurs yeux, par d’adroites manœuvres, son infériorité réelle, il parvint à les attirer hors du port et leur livra le 21 octobre, près du cap de Trafalgar, la bataille la plus décisive peut-être qui ait jamais été donnée sur mer dans les temps modernes. Des trente-trois bâtimens dont se composait l’escadre alliée, dix-sept furent pris avec Villeneuve lui-même ; un dix-huitième fut brûlé. Quatre autres, qui avaient d’abord réussi à s’échapper, se rendirent peu de jours après à une division anglaise qu’ils rencontrèrent. Nelson, blessé à mort, ne survécut pas à son triomphe, mais avant de mourir il avait accompli sa tâche. La marine espagnole avait pour ainsi dire cessé d’exister, et la marine française était réduite à un tel degré d’affaiblissement que, pendant le reste de la guerre, elle ne fut plus en mesure de combattre en ligne contre les Anglais.

Malgré la vive douleur que répandit dans toute l’Angleterre la mort d’un des héros les plus populaires qu’elle ait jamais vu naître, la victoire de Trafalgar excita un enthousiasme prodigieux et balança presque l’impression de découragement produite par les évènemens d’Allemagne. La situation du continent semblait, d’ailleurs, se présenter sous un aspect moins alarmant. Les Russes, enfin arrivés en Moravie, avaient rallié les débris de l’armée autrichienne, et la marche victorieuse des Français se trouvait enfin arrêtée. L’archiduc Charles accourait d’Italie avec une autre armée. Les Suédois marchaient sur l’Elbe. Les Prussiens se mettaient de tout côté en mouvement ; un négociateur, envoyé par eux au camp de Napoléon, se disposait à lui offrir la médiation de son gouvernement pour conclure la paix aux conditions proposées par les coalisés, et dans le cas prévu d’un refus, les forces de la Prusse devaient se joindre à celles des ennemis de la France. Napoléon pouvait se trouver ainsi entouré et accablé comme il le fut huit ans après dans la campagne de Saxe. Cette fois encore, son génie rompit le filet dans lequel on croyait déjà le tenir. Le 2 décembre, la bataille d’Austerlitz mit ses ennemis à ses pieds. Tandis que les Russes se retiraient précipitamment avec leur empereur