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l’ardent libéralisme de Fox, il joignait aux facultés des esprits pratiques ces conceptions élevées que tant d’hommes d’état médiocres relèguent, avec un ridicule dédain, dans le domaine des utopies. Il ne cherchait pas la popularité, qu’il posséda pourtant pendant bien des années, mais il aimait la gloire. Il comprenait que la grandeur, les institutions libres et généreuses, ne sont pas seulement de belles et brillantes choses, que ce sont encore les plus solides bases de la prospérité d’un pays. Ami de la paix, dont mieux que personne il appréciait les avantages, disposé, pour la conserver ou pour la rétablir, à se mettre au-dessus des inspirations de l’amour-propre et même des exagérations de l’orgueil national, jamais pourtant, même dans les plus terribles extrémités, il n’admit la pensée de l’acheter au prix de conditions qui eussent dégradé l’Angleterre. Il savait que le premier des dangers pour un peuple puissant, c’est celui auquel il s’expose en se laissant humilier. Aussi long-temps que des circonstances impérieuses ne vinrent pas entraver les tendances naturelles de sa politique, on le vit favoriser toutes les pensées raisonnables de progrès, de réforme, d’affranchissement, parce que son admirable bon sens lui faisait comprendre que l’amélioration, le renouvellement continus sont les conditions essentielles de la conservation. Personne peut-être, et c’est là le trait distinctif de son caractère, personne n’a uni au même degré l’esprit de gouvernement et l’instinct du pouvoir à la profession sincère de principes modérément mais vraiment libéraux. Ce qui peut expliquer ce phénomène, c’est que ces principes étaient moins en lui l’effet d’un entraînement naturel que le produit d’une haute raison ; c’est qu’il était arrivé, par la force de son esprit, à la conviction ferme et immuable de ces nobles vérités que la plupart des hommes admettent seulement sous l’influence mobile et passagère d’une imagination exaltée, peu compatible avec l’habile direction des affaires publiques. Ce qui dominait en lui, c’étaient les calculs d’une vaste intelligence bien plus que des sentimens ou des penchans. Là fut le véritable principe de sa force ; là fut aussi, il faut le reconnaître, le principe de l’unique imperfection qu’on puisse signaler à côté de ses prodigieuses facultés, d’une sorte de sécheresse qui, dans ses procédés comme dans son langage, révélait trop souvent l’absence de cette chaleur d’ame à laquelle les Chatham et les Fox durent tant d’élans admirables, comme aussi tant d’égaremens.

C’est par l’effet de cette étonnante et singulière organisation que Pitt put, au sortir de l’enfance, gouverner son pays. Passant, pour ainsi dire, des bancs de l’école au ministère qu’il ne devait plus quitter,