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saurait lui contester sans injustice ; c’est une bravoure téméraire : il se précipite tête baissée dans les plus bouffons paradoxes, il s’élance les yeux fermés dans des métaphores drolatiques, et cela avec une persistance de mauvais goût, avec un enthousiasme de métromane qui se raient plus risibles encore, s’ils n’avaient un air d’irrécusable et triste sincérité. Au sortir de cette hôtellerie funeste où il lui était advenu tant de piteuses aventures, le valeureux héros de Cervantes, roué de coups, le corps moulu de fatigue, enfourchait résolument son destrier pour tenter d’autres hauts-faits : M. Vacquerie a le même courage ; de critique il se fait poète. Hier, il lui arrivait mille déconvenues quand il s’essayait au pouvoir législatif ; aujourd’hui, le voilà qui tente bravement le pouvoir exécutif. L’expérience est dangereuse à qui sort de la théorie : on risque toujours gros jeu à donner d’un coup sa mesure.

Quelqu’un l’a remarqué, l’esthétique de l’abbé d’Aubignac, ce hautain rédacteur des constitutions du Parnasse, fut étrangement compromise le jour où il donna sa Zénobie. Mi. Vacquerie, j’en conviens, ne joue pas à beaucoup près un pareil personnage ; il faut être un oisif comme nous de la vie littéraire, un de ces fureteurs que le puriste M. de Cormenin ne manquerait pas d’appeler des lisailleurs, pour savoir que l’auteur des Demi-Teintes avait déjà fait ses premières armes dans les salles basses de je ne sais quel feuilleton où il espadonnait tout à son aise contre le sens commun. Pour notre part, nous en voulons un peu à M. Granier de Cassagnac de nous avoir subitement privés des évolutions hebdomadaires de ce jeune sous-lieutenant du romantisme qui ne lui a pas paru assez timoré, à ce qu’il paraît, dans ses allures de matamore contre Racine. Danton aurait-il eu peur de Robespierre ? Voilà du coup M. Granier classé dans le parti qu’on appelait, en 93, ces enragés de modérés. Ce n’est pas moi qui contesterai la justesse de la dénomination Hélas ! le lundi nous paraît un jour moins gai, depuis que le jovial critique a supprimé, par ordre, sa divertissante parade. Pour ceux qui avaient une heure à perdre, c’était, je vous assure, un assez agréable passe-temps de voir ce capitaine Fracasse prenant son rôle au sérieux et s’élançant sans crier gare, les yeux allumés, la chevelure au vent, la lance au poing, le sabre traînant à grand bruit sur les planches. Le costume surtout était amusant à contempler : le vestiaire du romantisme y avait épuisé toutes ses défroques d’oripeaux chamarrés. Assurément, la toilette guerrière des Ioways semblera nue auprès de celle-là ; le moindre ornement du héros était de porter comme eux, en manière de frange, la chevelure des guerriers ennemis. Rien que d’y penser, cela donne le frisson.

Heureusement M. Vacquerie n’était pas homme à se tenir pour battu au premier échec ; M. de Cassagnac lui avait malignement coupé la corde de son arc : aussitôt il a détaché sa lyre. C’est ce qui nous vaut aujourd’hui les Demi-Teintes. Notre premier regret, en ouvrant le livre, a été de n’y point trouver d'avertissement ; cela nous eût consolé de, la prose absente du critique. Le romantisme d’ailleurs excelle dans ces sortes de préfaces casquées,