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s’efface sous le poète, et on tombe alors dans les purs dessins d’atelier, dans ces fantaisies de convention dont le secret mérite et la difficulté d’exécution, si réels qu’ils soient, échappent au commun des lecteurs. Or l’écrivain, comme le peintre, ne compose pas que pour ses confrères : M. Auguste Desplaces s’est volontairement fait un public restreint. La soudaineté de l’émotion, l’inspiration vive, ce cri spontané auquel la foule reconnaît l’éternelle poésie, se trahissent trop rarement dans son recueil.

Égarée au bord du fleuve, la malheureuse amante d’Hamlet cueillait au hasard des herbes et des fleurs ; puis sa main convulsive se faisait, de ce mélange de fenouil et de mousse, une couronne qu’elle mettait à son front. C’est ce touchant souvenir qu’a voulu consacrer M. Desplaces dans son livre ; mais il me semble que sa Couronne d’Ophélie manque précisément de la variété que promet ce titre un peu romanesque. Ici, c’est la forme surtout qui est variée, quelquefois même jusqu’à être contournée ; le fond, au contraire, est monotone. Ce n’est pas que l’essaim de ces abeilles aux ailes bigarrées ne coure tour à tour des corolles d’églantines aux touffes de roses ; mais le travail de la ruche est perfide, il donne toujours le même miel. On pourrait noter pourtant plus d’une exception gracieuse ; nous indiquerons entre autres l’Hymne à la Jeunesse, dans lequel l’auteur a célébré avec vivacité et fraîcheur cette déesse ailée qui, comme la Camille de Virgile, s’enfuit sans même courber les épis sous ses pas, et aussi les Projets Déjoués, esquisse un peu leste où je ne sais quelle fleur de mélancolie mêle son parfum aux joies de l’ivresse amoureuse. Ce sont là de charmans morceaux. Les vers peuvent continuer d’être pour M. Desplaces l’objet d’une culture discrète et sérieuse, la chimère aimée des loisirs ; mais son talent tirerait certainement’ profit du sévère régime de la prose. La prose est une rude gymnastique ; on n’a plus là l’énervante volupté de la rime, et c’est une épreuve à laquelle les vrais poètes peuvent seuls résister. Racine et Goethe en sont d’éclatans exemples.


Ce n’est pas en prose que sont écrits les Nombres d’or[1] ; mais on s’y tromperait. En le classant naguère dans les poetae minores, nous avons été généreux pour M. Belmontet, qui n’a du poète que la rime. Il est vrai que M. Belmontet s’attribue une bien harmonieuse famille :

Tout rossignol me semble un frère ;


on va s’en convaincre, cette consanguinité est au moins douteuse.

Nous avions les vers dorés de Pythagore ; M. Belmontet, après le philosophe de Crotone, a voulu donner les siens. Chacun doit avoir son tour. D’ailleurs le relief du rhythme ayant évidemment manqué à La Rochefoucauld, il y avait lieu de ressaisir la gloire déchue du bonhomme Pibrac. Le modeste auteur des Nombres d’or a un but bien simple, celui de marquer la sagesse des nations à son empreinte. Voyons comment il y réussit.

  1. Un vol. in-18, chez Amyot, rue de la Paix.