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de la France est affaiblie et humiliée ! Détestable argument, dit-il, langage imprudent et insensé ! Hélas ! s’il nous en souvient, qui donc a le plus abusé de cet argument ? Qui donc, le lendemain de l’amnistie, de Constantine, de Saint-Jean d’Ulloa, déplorait en pleine tribune l’abaissement et l’humiliation de la France ? M. Guizot a peu de mémoire. Du reste, nous pensons, comme lui, qu’il est dangereux pour un pays de se mesurer sans cesse, de peser tous les jours sa valeur dans le monde. Il n’est pas bon qu’une nation exalte ainsi sa vanité. Mais d’où est venue chez nous cette disposition ombrageuse ? Qui a fait naître la pensée des comparaisons, des rapprochemens ? Le ministère du 29 octobre s’était formé le lendemain d’une crise qui imposait à la France une attitude réservée et indépendante : au lieu de prendre cette attitude, il a jeté la France dans les liens d’une alliance peu réfléchie ; il n’a pas laissé au pays le temps d’oublier ses blessures ; il l’a compromis dans des avances peu dignes, et il a multiplié imprudemment les occasions d’un contact que de fâcheux souvenirs rendaient encore douloureux. Ce contact devait nécessairement produire les inquiétudes et les froissemens que nous avons vus. M. Guizot n’a donc pas le droit de déplorer les susceptibilités nationales de la France ; c’est lui qui les a exagérées en les excitant. Lorsqu’on irrite un pays, on ne lui dit pas d’être calme : c’est se montrer trop exigeant.

Au surplus, nous voulons bien reconnaître que la France n’est pas déconsidérée, abaissée. Tel n’est pas, quant à nous, le sujet des reproches que nous adressons au ministère. Grace à Dieu, nous savons bien que l’honneur de la France n’est pas dans les mains de M. le ministre des affaires étrangères et de ses collègues. Le fardeau serait un peu lourd pour eux. Si notre gouvernement a essuyé des humiliations à Taïti, si notre gloire du Maroc a été peu féconde, si le langage de notre diplomatie n’est pas toujours d’une fermeté et d’une dignité suffisantes, si nos ministres sont rarement inspirés de ces sentimens qui font les grandes choses et électrisent les nations, si la médiocrité leur plaît, comme étant le bonheur du sage et la perfection de l’existence ministérielle, cette situation, après tout, n’est pas une honte pour la France. Il faut espérer que notre honneur n’en mourra pas. On dira de nous, en Europe, que nous avons des chambres patientes et résignées ; on s’étonnera de cette tolérance inusitée dont jouit depuis bientôt six ans le plus heureux, sinon le plus glorieux des cabinets, et voilà tout. Quant à établir une solidarité complète entre cette situation et les sentimens de la France, on ne le fera pas. Assurément, personne n’ignore en Europe que la politique du ministère n’est pas celle du pays. La politique de la France est connue ; on ne peut la confondre avec celle du ministère. De temps en temps, cette politique se montre et prend sa place, comme pour empêcher que nous ne descendions trop bas ; témoin l’affaire du droit de visite, dont la direction est venue des chambres, et qui semble une consolation donnée au pays dans les épreuves que lui envoie la politique ministérielle. Par tous ces motifs, M. Guizot peut donc nous dire avec raison que le nom de la France n’est pas déconsidéré dans le monde. Nous