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sommes heureux d’ailleurs qu’il ait pris là-dessus le soin de nous rassurer : il en sentait peut-être la nécessité ; mais nous aurions voulu aussi que M. Guizot s’expliquât sur un autre point beaucoup plus grave à nos yeux. Le reproche que l’opposition modérée adresse au gouvernement n’est pas tant d’abaisser la France que de s’abaisser lui-même. Ce qui afflige, ce qui effraie les amis de la monarchie représentative, les partisans d’une autorité forte unie à une liberté sage, c’est de voir une administration supportée plutôt que soutenue par les chambres, vivant sans majorité réelle, subissant le joug avec insouciance ; toujours prompte à abandonner ses convictions dès qu’il y aurait quelque courage à les défendre, et toujours résignée à obéir aux volontés parlementaires dès qu’elles se montrent. Nous disons que ce spectacle est un danger pour le pays ; nous disons que ce singulier contrat par lequel un ministère obtient des chambres qu’elles lui laissent la vie à la condition de leur donner le pouvoir est un essai funeste dans notre gouvernement ; nous disons qu’il peut en résulter pour la puissance exécutive des habitudes d’obéissance, et pour les chambres des habitudes de volonté qui seraient capables à la longue d’ébranler la base de nos institutions. L’alliance du pouvoir et de la liberté date d’hier ; la part de la liberté est grande : s’il y a des abus à craindre, c’est de son côté. Personne ne respecte plus que nous l’indépendance des chambres ; mais nous voulons en face des chambres un pouvoir également libre dans sa sphère, ayant des opinions qui lui soient propres, des principes arrêtés, un but distinct, donnant l’impulsion et ne la recevant que dans une juste mesure, dirigeant la majorité, et non pas dirigé par elle, car autrement il n’y a plus de pouvoir responsable, et le gouvernement représentatif n’existe pas. Nous aurions désiré que M. le ministre des affaires étrangères, puisqu’il était en veine d’explications, voulût bien nous dire ce qu’il pense de la situation actuelle du pouvoir en France. De toutes ses théories, ce serait celle au sujet de laquelle nous aurions le plus besoin aujourd’hui d’être édifiés.

Quelques paroles de M. Saint-Marc Girardin sur l’état des relations entre la Grèce et la Porte ottomane ont appelé l’attention de la chambre sur une question qui intéresse l’indépendance hellénique. Il s’agit pour la France de déjouer de coupables manœuvres dirigées contre une nation amie. M. Guizot promet de prendre sous sa défense la conduite et les intentions du gouvernement grec ; c’est un engagement qu’il faut noter. Deux ou trois interpellations peu importantes ont encore été adressées à M. Guizot, qui a pris tout au plus la peine de répondre ; après quoi, le budget des affaires étrangères étant voté, le ministre a pris congé de la chambre, et ses amis, par crainte pour sa santé, l’ont conjuré de n’y reparaître qu’à la session prochaine. Nous serions bien surpris cependant si M. Guizot ne revenait pas, dans peu de jours, défendre le crédit demandé pour l’exécution du nouveau traité substitué au droit de visite.

Bien des commentaires ont déjà eu lieu sur ce traité. Ce qu’il y a de plaisant, c’est que la presse ministérielle l’a admiré sans le lire ou le comprendre. Il a fallu que le Moniteur repoussât de dangereuses apologies, qui