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plus petits et embarquent des cargaisons bien plus considérables, afin que les bénéfices d’une seule expédition puissent compenser les pertes de plusieurs. Il n’est pas rare de voir un navire de 200 tonneaux embarquer 8 ou 900 nègres, et la moyenne des cargaisons est plutôt au-dessus qu’au-dessous de 450. Une felouque espagnole de 71 tonneaux avait à bord, quand on la captura, 360 nègres. Il en résulte que les nègres sont souvent étouffés. Le négrier le Louis, en chargement à Calabar, ayant été obligé de fermer les écoutilles pendant une nuit, avant que sa cargaison fût complète, on trouva le lendemain cinquante cadavres sous le pont ; ils furent jetés à la mer et remplacés par de nouvelles victimes. Le croiseur qui captura le négrier portugais le San-Joaquim, effrayé de la quantité de malades qu’il trouva dans la cargaison, demanda au capitaine combien il avait compté en perdre pendant la traversée. Celui-ci répondit avec un grand sang-froid : « Un peu plus de la moitié. » L’entassement des nègres développe souvent des ophthalmies contagieuses. On cite l’exemple du Rôdeur, dont toute la cargaison devint aveugle, à l’exception d’une douzaine d’individus. Beaucoup d’esclaves, plutôt que de supporter les souffrances qu’on leur fait endurer, se jetteraient à la mer si l’on ne veillait jour et nuit sur eux. L’impossibilité d’attacher un homme à chaque écoutille pour contenir les esclaves, et de les fermer sans étouffer la cargaison, a donné à quelques négriers l’idée d’avoir d’énormes boule-dogues qu’on dresse à veiller sur les écoutilles pendant la nuit ; ces animaux déchirent les nègres qui se présentent à l’ouverture.

Rien ne serait plus facile que de multiplier les récits horribles nous nous bornerons à relever quelques chiffres dans les divers documens officiels que nous avons sous les yeux ; on verra combien est grande la mortalité à bord des négriers. L’Invincible perdit 186 nègres sur 440 ; l’Intrepido, 190 sur 343 ; le Midas, 278 sur 560 ; l’Adamastor, 304 sur 800 ; le Leâo, 283 sur 855 ; en 1839, la Cintra, la Brilnahte, le Commodor et l’Esplorador embarquèrent à eux quatre 2,836 noirs, sur lesquels 1,088 périrent dans la traversée. La petite vérole emporte quelquefois des cargaisons entières ; aussi tous les nègres chez lesquels il se manifeste quelques symptômes de cette maladie sont jetés à la mer immédiatement.

La soif est pour les nègres une souffrance affreuse. Ils restent entassés de longues heures sous le pont, dans une atmosphère infecte, étouffante, et cependant on ne leur accorde jamais plus d’une pinte d’eau par jour. Un négrier de Bahia avait emporté pour lest des tonneaux