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et la Sardaigne se partagent le reste. Quant à l’industrie maltaise, elle consiste surtout dans la préparation du coton et dans la fabrication d’une énorme quantité de cigares, qui défraient tout le Levant. Ces cigares, faits à merveille, très passables et assurément fort supérieurs à ceux que fournit le plus souvent notre régie, coûtent environ 12 centimes la douzaine. — L’Angleterre perçoit à Malte, en taxes et en impôts, à peu près 100,000 livres sterling (2,500,000 fr.), qu’elle dépense en frais d’administration. En échange, elle a fondé et elle entretient plusieurs établissemens utiles aux indigènes. Un lycée est ouvert, où les enfans reçoivent gratuitement une instruction élémentaire. L’université, long-temps négligée, a reçu il y a peu d’années une organisation nouvelle ; un jardin botanique aide à l’étude de l’histoire naturelle. Ces institutions, à vrai dire, n’ont pas eu grand succès encore, l’éducation fort reculée dans les villes l’est bien plus encore dans les campagnes. Sur 114,000 habitans, 25,000 à peine savent lire et écrire ; c’est peu, quoiqu’en France, dans la plupart des provinces, la proportion des ignorans soit bien plus considérable.

Pendant dix jours que je passai à Malte à attendre le bateau à vapeur qui devait me conduire en Grèce, j’employais mon temps à courir dans l’île sur de jolis petits chevaux arabes que l’on loue dans la ville à très bon compte. Nous étions là cinq ou six jeunes gens, pleins d’ardeur, de gaieté, et du nombre se trouvait un artiste charmant, qui est à la fois le plus aimable des compagnons de voyage ; je veux parler d’Albert Grisar. Un doux souvenir m’est resté de ces folles cavalcades et de ces heures de jeunesse si joyeusement dépensées avec des amis d’un jour que je n’ai pas revus et qui sans doute m’ont oublié. Le matin au point du jour, nous passions au grand galop dans les rues, et bientôt nous courions en véritables écervelés dans les routes poudreuses de cette campagne aride. Un beau soleil flamboyait bientôt au-dessus de nos têtes, le vent nous soufflait au visage, nos chevaux écumaient, les petits murs des champs fuyaient autour de nous, et quand nos malheureuses montures étaient rendues, nous nous arrêtions le front baigné, le cœur débordant, riant nous-mêmes de notre extravagance. Parfois, en revenant vers la ville à une allure plus modérée, nous croisions d’autres cavalcades. C’étaient de jeunes officiers anglais et d’élégantes amazones qui, montés sur des chevaux fringans, allaient passer les heures brûlantes de la journée à l’ombre des orangers de quelque villa du voisinage. Les officiers anglais, moins stricts observateurs de l’ordonnance que les nôtres, se gardent bien, dans ce climat brûlant, de porter leur uniforme aux heures de loisir.