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plus avouée. Je maintiens simplement que, si M. Lacordaire nous touche d’instinct par quelque endroit, il ne connaît bien au fond ni son auditoire ni son temps ; je prouverai qu’il se trompe dans presque tous les faits historiques dont il s’autorise ; je tâcherai surtout de montrer comment toutes ses thèses philosophiques viennent échouer contre le sens commun.


II

M. Lacordaire se méprend beaucoup sur le caractère de notre époque et plus particulièrement sur celui de la jeune génération qui l’entoure ; il suppose sincèrement tout son auditoire atteint d’une sorte de maladie morale qui le tourmente et le ronge ; il est de ceux qui nous démontrent que nous sommes nécessairement une société sceptique, impie et athée. C’est là ce qu’on nous dit maintenant sur tous les tons, et à ceux qui le disent, généralement on ne répond pas, même quand on a bel et bien mission de répondre. On compte volontiers sur la vertu des institutions nationales, on compte qu’elles se défendront elles-mêmes contre cette calomnie permanente des passions rétrogrades ; on aime à se rassurer sans trop d’efforts en songeant à cette grande puissance qu’il y a dans l’unanimité de la pensée publique, et sans doute on a raison ; mais encore ne faudrait-il pas porter trop loin la patience, et s’abstenir si complètement en présence d’attaques toujours plus vives. Les idées ont beau être claires et les faits inébranlables ; on finit par les laisser obscurcir ou contester quand on semble embarrassé des uns et honteux des autres : la meilleure épée se rouille dans le fourreau.

M. Lacordaire est parfaitement convaincu de la grande misère de son siècle, comme disait Savonarole en parlant du sien ; il pleure sur nos souffrances, il en maudit les causes. « Quelle est votre plaie, s’écrie-t-il, cette plaie de la raison humaine, ce soupir de votre ame que j’entends dès qu’elle s’approche de mon oreille ? Ah ! vous en savez le nom, c’est le soupir et la peine de tous, c’est le doute ! » Le Doute s’asseoit à notre table, au coin de notre feu, il nous pousse du coude et nous met la main sur l’épaule, nous sommes ses sujets et ses victimes. Aussi qu’allons-nous faire maintenant autour de la chaire catholique ? Nous venons tendre à la religion des mains suppliantes, nous venons lui dire : Par pitié, jetez un pan de votre manteau sur nous, car le temps est sombre, et il fait froid ! — Voilà le sceptique désolé ! Qui d’entre nous aura le courage de se reconnaître à ce vieux portrait ? Feuilletez ailleurs, vous rencontrez bientôt le sceptique goguenard,