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forme comme pour le fond des idées, ils ont rompu avec la belle tradition du XVIIe siècle. Ils se sont enrôlés derrière M. de Maistre dont il faudra bien un jour compter toute la race ; ils ont voulu calquer ce style violent qui n’allait pourtant qu’à la nature de son génie ; puis, ainsi préparés, ils se sont laissé prendre à tout ce qu’il y avait de naïveté factice ou de grandiose manqué dans les fastueuses tentatives de ces réformateurs des lettres que nous avons vus peu à peu s’éclipser, s’amender ou s’isoler. Tout le monde est maintenant revenu de grand cœur à cette belle simplicité, qui fut toujours l’honneur de l’esprit national ; c’est à qui verra les choses avec le moins de façon et les dira le plus uniment ; le clergé seul n’en est pas là, et, pour son malheur, il n’a point abandonné ces mauvaises tendances que tous ont abjurées, les coupables eux-mêmes. Il était autrefois à la tête de tous les travaux de l’intelligence ; il est maintenant à la suite : le mouvement qui s’est fait ne l’a pas gagné ; il est encore romantique dans la pire acception du mot, dans son sens le plus fâcheux, et, si j’osais dire, le plus provincial. M. Lacordaire, qui a un talent réel et un esprit distingué, M. Lacordaire aurait dû se soustraire à cette déplorable influence du goût ecclésiastique ; il en est malheureusement l’un des plus dangereux modèles, parce que les qualités vraies et généreuses de son éloquence dissimulent un peu le tort infini de sa manière.

Appliquée particulièrement à l’histoire, cette mauvaise manière la fausse et la défigure. Les héros et les peuples dont M. Lacordaire nous entretient ne vivent pas de vrai ; ce sont des masques de théâtre ou des fantômes perdus dans un vague idéal. C’est là comme un double tort de cette science mal venue ; elle vise à la fois au pittoresque et au sublime.

Ainsi d’abord voyez M. Lacordaire esquisser une figure historique ; il ne saisira jamais les évènemens et les hommes par leur côté sérieux, il n’en étudiera que les apparences singulières ; il relèvera tout ce qui pourra prêter au bizarre ou à l’antithèse, tout ce qui serait du plus sûr effet dans un lointain d’opéra : c’est là seulement ce qu’il aime, des couleurs tranchantes qui se voient à distance et des cliquetis de mots qui sonnent comme de grands coups de sabre. Voici les Romains d’Auguste : « Au bout de sept cents ans, gorgés de sang, de dépouilles, de gloire et d’orgueil, ces brigands, devenus la première nation de l’univers, avaient déposé leur fière république entre les mains d’un seul maître, et ce fut sous les yeux de ce maître dont un regard faisait trembler la terre, ce fut sur les marches de son trône que saint Pierre alla poser sa chaire et chercher son indépendance. » En vérité, les choses de Dieu ne se font point avec tout ce fracas-là. Ce qu’il y a de