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à ce point de vue que nous l’étudierons longuement, à notre aise, dussions-nous passer pour retardataire et Bemooster aux yeux de M. Herwath et de la bande politique.

Il serait curieux de rechercher ce qu’il peut y avoir de vérité au fond de cette idée à savoir qu’entre le créateur et l’œuvre de mystérieuses relations doivent incessament exister, de telle sorte que la vie d’un poète sera, du commencement à la fin, l’image parfaite de sa poésie, laquelle à son tour se réfléchira dans ses moindres actions. Quel dommage que les historiens de cette belle Grèce, où la poésie, l’amour et la liberté devaient trouver leur plus glorieux trône sur la terre, aient toujours si fort négligé de descendre dans ces détails intimes qui nous eussent montré, chez les illustres chantres, l’heureux accord dont nous parlons ! Quoi qu’il en soit, en l’absence de tout document qui s’y oppose, on aime à se représenter ces héros de l’intelligence et de l’art d’après le modèle de leurs créations, à voir dans le poète des Perses et du Prométhée enchaîné l’homme sérieux, incompris, faisant de la liberté de son pays le plus grand de ses biens, et prêt à lui tout sacrifier, à l’exemple de ce héros superbe dont un vautour ronge le flanc pour sa rébellion sublime contre la tyrannie des immortels ; on aime à voir dans Sophocle une des plus nobles natures qui aient existé, une de ces grandes ames qui savent à quel prix l’homme achète ici bas la paix. Dans les temps modernes, la vie civile a tout changé ; avec elle commencent de nouvelles tendances, de nouveaux intérêts se font jour, et, l’horizon s’élargissant à l’infini, la poésie se sépare de l’existence. Désormais les deux sœurs qui, jusque-là, marchèrent de pair iront, chacune de son côté, celle-ci par les ronces et les âpres chemins, celle- là par les collines et les bois en fleur ; celle-ci au grand soleil de midi, à travers les rumeurs de la place publique et toutes les horreurs de la réalité ; celle-là au clair de lune, le long des buissons embaumés où fleurit l’églantine, où l’oiseau chante en écoutant la cascade qui pleure. A la vérité, par intervalles les élémens disjoints se rencontrent encore ; il serait difficile d’interroger la vie des grands poètes de ce temps-ci, à quelque nation qu’ils appartiennent, sans y rencontrer des momens qui vous reportent malgré vous à certains passages de leurs livres, mais presque toujours ce ne sont là que des éclairs : une fois, comme par hasard, les deux voix se sont unies dans un accord, et cette fois, plaintive ou triomphante, douloureuse ou tendre, l’harmonie qui en résulta fut sublime. Nous n’en finirions pas si nous voulions citer tant de nobles génies en qui la dissonance éclate.

En France, surtout, et chez les contemporains, les exemples abonderaient ;