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Et les Illusions, ses compagnes divines,
Secouant émeraude et saphir sous leurs pieds,
A dix pas devant lui courent dans les sentiers.


Cependant, au déclin de l’été, Stella tombe malade ; son œil se creuse, son joli cou se penche, l’ovale si pur de son visage perd ses fraîches couleurs à mesure que la croisée qui lui servait de cadre se dépouille de ses festons. Hypérion, que son lyrisme aveugle, continue à se bercer de confiance, et, comme un poète qu’il est, vit étranger à la catastrophe qui le menace, lorsqu’un soir, arrivant à son ordinaire, plein d’enthousiasme et de joie expansive, il trouve sa maîtresse morte. Ici le désespoir a son cours. Cette ame jusque-là insensible aux nuances de la douleur, mais que tout paroxisme trouve prête, se précipite dans le deuil comme dans un torrent. En face de sa maîtresse inanimée, Hypérion ne se contient plus ; il la prend dans ses bras, l’appelle à grands cris, la couvre de pleurs et de baisers. Quarante heures s’écoulent ainsi dans les gémissemens et les sanglots. Enfin, sur le soir du troisième jour, tandis que, debout à la fenêtre, frissonnant et la tête en feu, il rêve à la solitude qui va se faire autour de lui dans l’avenir, ses yeux brûlés de larmes aperçoivent sous les rameaux dépouillés de la forêt une ombre solennelle et blanche, assise dans l’attitude de la pensée et du recueillement,

Une femme sublime, à l’air sévère et doux ;
Son auguste visage a la pâleur des marbres,
Ses deux mains gravement posent sur ses genoux
On dirait la Niobé pleurant sous ces grands arbres.

C’est la Mélancolie, non cette robuste matrone d’Albert Dürer, sœur cabalistique de Faust et de Manfred, et qui reste loin du soleil et de la clarté des étoiles, silencieusement accroupie au milieu des parchemins, des équerres et des alambics ; mais l’immortelle déesse des communes douleurs, celle que les affligés trouvent au sein de la nature, comme la Samaritaine trouva Jésus au bord du puits. A cet aspect, Hypérion sent pénétrer dans son cœur je ne sais quel baume qui l’épure. Une force inexplicable, une douloureuse attraction le pousse malgré lui vers l’étrangère, et quand celle-ci va pour s’éloigner, baignant d’une dernière larme le corps de sa maîtresse déjà couchée au cercueil, il s’attache aux pas de l’inconnue, et tous deux disparaissent ensemble à travers les ombres de la forêt. — Six mois s’écoulent ainsi, pendant lesquels l’inconsolable enfant se livre sans réserve à sa compagne. Ils visitent ensemble toutes les catacombes de la nature, parcourent