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les lacs glacés, s’enfoncent dans la vallée brumeuse, et la lune, se levant morne et lugubre en un ciel d’hiver, les surprend tantôt assis sur des ruines et les pieds dans la neige, écoutant le glas lointain d’une cloche funèbre, tantôt arrêtés au fond d’un cimetière, elle accroupie sur le marbre d’une tombe, lui debout, interrogeant, à la façon d’Hamlet, quelque crâne desséché.

« Siège de la pensée, qu’est-il devenu, ce monde mystérieux qui s’agitait en toi ? Parle, qu’est-il devenu, ce dieu puissant qui trônait sous ta voûte, entre l’argile et la lumière ? N’es-tu qu’un ballon creux d’où le gaz s’est enfui, ce gaz qui t’emportait par les espaces infinis au-dessus de la terre et des cieux ? Tu frémis sous mes doigts, mais sans répondre à ma question, noble forme où l’esprit de Dieu s’est manifesté. — Un jour, je rencontrai dans la rue un pauvre diable de musicien ambulant dont la harpe s’était brisée, et qui se démenait comme un insensé sans pouvoir tirer un son des cordes détendues. Serais-je, par hasard, cet homme ? — Et le crâne, à ces mots, lui tombait des mains. »

Cependant avril renaît :

… Le temps du renouveau,
Où le sillon fleurit, où l’abeille bourdonne,
Où la pensée en feu monte dans le cerveau,
Où, comme un chien de chasse ayant perdu la piste
Et ne flairant partout que boutons printaniers,
La Mort sur les chemins reste confuse et triste,
Et ne retrouve plus le lit des infirmiers. . . .

À ce réveil unanime, l’ame d’Hypérion répond par l’émotion et le trouble. Pour la première fois depuis la mort de Stella, il se demande si tant de merveilles ne valent point qu’on se donne la peine de vivre. Et cette réflexion lui vient une nuit que le rossignol en amour vocalise dans les cyprès. « Serais-je donc plus funéraire que cet arbre ? » se dit-il à lui-même, et là-dessus il se met à siffler un air d’opéra. — Un matin, une jeune fille passe. « Où vas-tu ainsi, la belle enfant ? » Et notre héros de s’élancer sur sa trace en jetant à sa compagne de la veille, avec la rose flétrie enlevée à la couronne de Stella, ces dernières paroles pour adieu :

Si jamais celle-ci meurt, me quitte ou m’oublie,
Je reviendrai vers toi, douce Mélancolie.

Avant de quitter les Chants de Jeunesse, nous regretterons que Rückert ait cru devoir exclure des Poésies choisies les Trois Étoiles sur la terre (die Drei Sterne auf Erden), et le Chant funéraire de Roeschen