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« Puis, cherchant une épée gisante près de là, il se la passe autour des reins ;

« Et, saisissant une lyre suspendue aux rameaux, il s’assied sur son sépulcre, et sa voix s’exhale ainsi dans le silence de la nuit :

« Je fus un franc chasseur dans le sauvage escadron de Lutzow ; poète, mon chant de guerre retentit aussi vaillamment.

« Désormais mes compagnons poursuivent sans moi la campagne ; une balle mortelle m’a renversé de mon cheval, et j’ai été enseveli à cette place.

« Continuez à battre la plaine jusqu’à ce que vous arriviez au but. Merci, vous m’avez enterré selon mes vœux.

« Les deux maîtresses que j’aimai dans la vie me sont restées fidèles dans la mort, la lyre et l’épée.

« Et mon nom, devenu immortel, est gravé glorieusement au cœur du chêne séculaire.

« Quelles plus belles couronnes que celles qui décorent ma sépulture ? Chaque printemps en renouvelle les senteurs.

« On a voulu me donner la sépulture des rois ; mais ici, à la vive senteur des branches, laissez-moi reposer,

« Et que souvent j’entende frissonner les feuilles, lorsqu’au bruissement du vent mon esprit fera vibrer la lyre. »


Là repose en effet Théodore Koerner, près du chemin qui mène à Lubelow, à un mille de Ludwigslust, résidence des ducs souverains de Mecklembourg, où grandit, pour l’honneur de l’Allemagne, l’auguste personne qui depuis est devenue Mme la duchesse d’Orléans. Cette place isolée sous le grand chêne, cette tombe en pleine nature, fut concédée au père de Théodore par la munificence du grand-duc Aujourd’hui un mur d’enceinte règne autour de la fosse, qu’un mausolée d’airain consacre aux yeux du passant, sépulture deux fois sainte, car la sœur du poète y repose auprès de son frère. Emma-Sophie-Louise adorait Théodore ; à peine celui-ci fut-il mort qu’une sombre mélancolie s’empara de la pauvre fille. Comme elle peignait, elle fit de mémoire le portrait de son cher défunt, puis elle voulut aussi dessiner sa sépulture, et cette dernière tâche n’était pas accomplie que la douce enfant, minée de chagrin, rendit l’ame. On raconte encore, parmi les particularités qui suivirent le trépas de Koerner, qu’au nombre des amis qui accompagnèrent ses funérailles se trouvait un jeune gentilhomme des plus distingués, M. de Bärenhorst, lequel, après avoir rendu les devoirs suprêmes à son compagnon d’armes, déclara ne pas vouloir lui survivre. Peu de jours après, comme nos troupes attaquaient un avant-poste dont la garde lui était confiée, au moment le plus chaud de l’action, Bärenhorst se précipita dans la