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Benedetto il giorno, etc.

C’est la canzone prise dans l’autre sens, le mineur du motif, si l’on veut. Combien la reproduction du type italien frapperait davantage, si nous pouvions donner ici la moindre idée de ce rhythme parfait, de cette versification qui lutte avec Goethe de transparence, de netteté, de justesse ; en un mot, de cette forme de Rückert où le brouillard de la langue allemande se condense et devient cristal ! Détachons encore une perle du collier :


« On me disait que le printemps avait paru ; je sortis pour chercher où je le trouverais. Je vis bien en effet dans les champs des fleurs et des épis, mais le printemps, je ne l’y trouvai point. Les oiseaux bourdonnaient, les abeilles chantaient, mais c’était une triste histoire ; les sources ruisselaient, mais il n’y coulait que des larmes ; le soleil souriait, mais d’un air si triste ; et je ne pouvais cependant venir à bout de savoir des nouvelles du printemps. Enfin, je m’acheminai vers une place où depuis bien des jours je n’étais point allé ; là je le trouvai, le printemps. Les yeux en pleurs, la joue pâle, il était assis, le bel enfant, sur ta tombe, ô ma bien-aimée, comme sur la tombe de sa mère. »

J’allais oublier un très beau passage sur le néant de la vie humaine, dans lequel, irrité de voir cette nature qu’il évoque continuer d’épanouir ses fleurs et ses étoiles et de mener sa fête, le poète s’écrie en un découragement sublime :


« Ah ! oui, je comprends, il n’y a qu’un cœur de brisé, rien de plus ! qu’une existence d’anéantie, rien de plus ! Du reste, toute chose en ce monde poursuit sa marche accoutumée après comme devant.

« Et d’elle aucune trace n’est restée, aucune ! si ce n’est cette pauvre feuille de tremble qui frissonne au souffle de mes chants. »


En feuilletant les poésies complètes de Rückert, on trouve çà et là plusieurs pièces qui se rapportent plus ou moins par le sentiment à cette douce élégie d'Agnès, dont elles forment comme un harmonieux corollaire ; ainsi des Trois étoiles sur la terre, des Douces Funérailles, du Salut angélique de Roeschen, variations pathétiques du même thème, d’où nous conclurions volontiers qu’Agnès et Roeschen ne font ensemble qu’une seule et même personne, ou plutôt que ni l’une ni l’autre n’ont jamais existé, et qu’il faut voir en ces blanches figures une vingtième incarnation du type idéal que les poètes ensevelissent à seize ans uniquement pour mener le deuil et chanter à ses funérailles.

Nous abordons maintenant un cycle de poésies qui ne comprend