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que son triomphe ne déplairait pas à l’Angleterre : cela soit dit sans suspecter le moins du monde le patriotisme de M. de Montalembert, dont nous ne doutons pas.

Le gouvernement, avant de se prononcer sur l’émancipation, avait donc devant lui les leçons du passé : comment en a-t-il profité ? quel système a-t-il proposé ? quel caractère a-t-il voulu donner à l’émancipation ?

C’est un malheur du cabinet de ne pouvoir prendre une résolution sans faire douter de son indépendance. Ce malheur, qui tient à sa faiblesse, le suit partout, soit qu’il agisse au dehors, soit qu’il agisse au dedans. On a dit qu’il avait présenté le projet de loi sur l’émancipation pour satisfaire au vœu de l’Angleterre, et pour obtenir d’elle un arrangement sur le droit de visite ; on a dit aussi que pour mieux complaire aux désirs du cabinet britannique, M. Guizot s’était engagé à entreprendre une émancipation immédiate ou à bref délai, au lieu de suivre le système d’affranchissement progressif et mesuré qui avait été adopté jusqu’ici. Le ministère, quand on lui fait ce reproche, prétend qu’on le calomnie. Il faut avouer cependant que les apparences sont contre lui. Pourquoi, par exemple, a-t-il voulu substituer le caprice de l’ordonnance à l’autorité de la loi dans les mesures à prendre pour l’émancipation ? Pourquoi, dans son projet de loi, a-t-il réclamé une délégation qui l’aurait laissé complètement maître du terrain, et libre d’agir comme il aurait voulu ? Ne peut-on pas supposer qu’à l’aide de ce blanc-seing, qu’il voulait surprendre à la confiance des chambres, le ministère comptait transiger plus sûrement avec le cabinet anglais, qui aurait dicté lui-même les conditions de l’affranchissement de nos colonies ? Nous laissons à penser si l’intérêt de la France eût été bien ménagé dans un pareil marché !

Du reste, le projet du gouvernement était inconstitutionnel. Il violait la charte, qui veut que les colonies soient régies par des lois particulières. Statuer par ordonnance sur des matières qui sont du ressort de la loi, telles que le pécule et le rachat des esclaves, les peines applicables aux maîtres, la création de nouvelles autorités judiciaires, c’était déroger à ce principe de tous les gouvernemens représentatifs qui trace entre les lois et les ordonnances des limites précises, réservant à l’autorité législative tout ce qui touche l’état des personnes, la propriété, les peines, l’organisation des pouvoirs publics, et au gouvernement toutes les mesures destinées à garantir l’application des lois. En demandant des cours prévôtales pour juger les blancs, le ministère faisait une chose odieuse. Enfin, en se réservant le mérite d’un bienfait dont l’honneur doit rejaillir sur tous les citoyens, et principalement sur ceux dont il blesse le plus directement les intérêts, il enlevait au grand acte de l’émancipation le caractère national qu’il doit avoir. Tel était le système primitif du gouvernement, fruit de ses longues méditations, de ses conférences avec M. le duc de Broglie, et de sa correspondance diplomatique avec le cabinet anglais. Ce système, repoussé par la commission, n’a pas même été soutenu devant la chambre. La défaite eût été certaine. Le ministère a donc reculé sur ce premier point, le plus important de tous ; car, en acceptant l’intervention