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affaiblir la position du clergé, réduire son indépendance, et s’opposer aux progrès de l’ultramontanisme ; il fut même question d’avoir un archevêché suisse. Les populations catholiques ne virent pas cette conférence de bon œil ; le pape la déclara schismatique. Parmi les cantons contractans, les uns faiblirent ; Berne dit qu’il fallait négocier avec le souverain pontife, ce qui était se rendre, puisqu’il condamnait. Lucerne seule tint bon, et fit exécuter rigoureusement l’arrêté. Puis vint la question des couvens d’Argovie, qui occupa la diète pendant plusieurs années, et bientôt, à Lucerne, une révolution accomplie dans un sens à la fois démocratique et clérical vint remettre ce canton à la place qu’il avait si souvent occupée, c’est-à-dire à la tête du parti catholique. Ce parti, néanmoins, eut encore le dessous dans la conclusion de l’affaire des couvens, affaire irritante au suprême degré pour toute la Suisse catholique, qu’elle blessait jusque dans ses intérêts matériels. Alors ce fut du Valais que vint la réponse à la victoire des libéraux. Il arriva dans ce canton ce qui était arrivé à Lucerne ; seulement la révolution se fit plus brutalement, et par la voie des armes. Le parti libéral, pressé de s’attaquer au clergé, déclina rapidement, et perdit le pouvoir. Il voulut défendre ou reconquérir par la force certains points de sa situation. De là un état d’anarchie qui acheva d’exaspérer les populations valaisanes. Le Haut-Valais tout entier descendit comme un seul homme pour écraser le Bas-Valais libéral, mais anarchique et divisé. Le combat meurtrier du Trient acheva de ramener et d’unir étroitement ce canton à la ligue catholique. Dans le même temps, Lucerne appelait les jésuites, et Argovie proposait en diète de l’en empêcher. Cette question nouvelle ne pouvait manquer d’agiter vivement les masses ; attaquer les jésuites, c’était faire tout à la fois la guerre à l’esprit prêtre, à l’esprit conservateur et à l’esprit rétrograde, à l’égoïsme cantonal, aux intérêts supposés ou réels de localité, de famille et de caste. Les jésuites, c’était un levier qui remuait tout, qui trouvait partout un point d’appui, levier fait exprès pour la main du peuple, qui, en effet, d’un bout de la Suisse à l’autre, se hâta de l’essayer.

Le canton le plus libéral et le plus homogène, le canton de Vaud, fut celui qui donna le signal. Trente mille pétitionnaires y demandaient l’expulsion des jésuites ; les populations voisines du Valais étaient à la tête de ces démonstrations. Le grand-conseil vote un moyen terme ; le lendemain, le gouvernement est renversé, et les masses accourues au chef-lieu rendent deux actes souverains par lesquels elles ordonnent la révision de la constitution et des lois. On se met à l’œuvre ; on fait rentrer hommes et choses dans le creuset populaire ; on destitue, on discute, on nomme de nouveaux fonctionnaires, et on cherche de nouveaux principes. On oublie peut-être bien un peu les jésuites, ou du moins on attend ce que fera la diète, où il y a maintenant contre eux une voix influente de plus.

Ce n’était là qu’un prélude à une nouvelle phase de la crise ; le peuple n’oubliait pas les jésuites, il était impatient d’en finir avec eux, surtout dans les cantons d’Argovie, de Berne, de Soleure et de Bâle-Campagne ; là les gouvernemens