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à l’action. De cette sorte, Virginie se considère comme l’épouse d’Icilius, et elle aura bien plus d’horreur pour l’amour infame du décemvir. L’héroïne de M. Latour a la vertu de l’épouse romaine, quoiqu’elle porte cependant encore à son front l’auréole de la jeune fille. Lorsqu’elle sera frappée du couteau libérateur, c’est un sang pur qui coulera ; la victime tombera dans la robe sans tache de sa virginité.

Pour exciter l’intérêt de la foule, on a cherché en ce temps-ci à multiplier les ressorts, les incidens dramatiques, à susciter et à déjouer la curiosité par l’imprévu. On peut réussir autrement, et il est prouvé, par le succès de Lucrèce et celui de Virginie, qu’on avait calomnié la foule ; la simplicité lui plait, quoi qu’on ait fait pour lui en enlever le goût, et ce qui est noble et grand la transporte. Qu’applaudit-elle dans Virginie ? On peut en juger.

Nous sommes dans la maison de Virginius, au jour fixé pour le mariage de sa fille. Virginie prie les dieux ; le vieux soldat, qui va rejoindre l’armée après avoir assuré le bonheur de son enfant, voudrait ne pas reprendre si tôt les armes ; il est ému, et le père lutte avec le citoyen. On va partir pour le temple, lorsqu’entre Fabius le sénateur, patron de Virginius, et qui n’a pas été invité au mariage par son client, parce qu’en ce moment il y a désaccord entre les patriciens et les plébéiens. L’entrée de Fabius est imposante, et les explications entre le vieux sénateur et le soldat sont fortement pensées et d’un excellent style. On va au temple ; mais les prêtres, auxquels le décemvir a recommandé un prodige, font le prodige : les présages sont funestes ; le mariage est ajourné, non pas le départ de Virginius et d’Icilius, qui vont combattre les ennemis de Rome. Virginie est donc seule, au foyer domestique, sous le patronage de Fabius et l’amitié de Fausta. Tout va à souhait pour Appius ; Virginie est seule, il lui envoie des présens, et il les accompagne de près. Il fait l’aveu de son amour ; la fiancée d’Icilius le repousse avec indignation, et elle compte, pour la venger de cet outrage, sur le bras de son père et celui de son époux ; mais elle apprend que Virginius est prisonnier, et Fausta lui apporte l’affreuse nouvelle de la mort de son frère Icilius a été assassiné par les ordres de Gandins. Il ne reste plus à Virginie qu’à se confier aux dieux.

Maxime, en affirmant que Virginie est son esclave, l’entraîne au troisième acte dans la maison d’Appius. L’amour sauvage du décemvir, avec ses raffinemens profonds, et l’admirable chasteté de la jeune Romaine, forment un tableau saisissant. Si la toile tombait alors, le spectateur serait dans une sorte d’anxiété que le drame doit produire plutôt que la tragédie ; mais Fabius rient, il réclame la fille de son client : il ne l’obtient pas, et ne peut que lui remettre un poignard à la dérobée. Je suis libre, dit Virginie, et le spectateur est rassuré.

Au quatrième acte, Virginius a échappé aux ennemis ; il revient à Rome, il rentre dans sa maison, où il trouve Fabius, qui va lui apprendre son malheur. Ce vieux soldat, ce vieux père qui parcourt avec désespoir sa maison déserte, offre une scène des plus touchantes et des plus tragiques. Quand il