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sa puissance, pour sa grandeur et pour sa gloire. Il ne suffisait pas à Dupleix d’armer en course et de mettre le feu à des comptoirs : se contenter du faible commerce de la compagnie ne lui semblait qu’un jeu stérile ; même le trafic exclusivement indien, dont il était le promoteur, n’était à ses yeux que l’occupation de quelques particuliers pressés de s’enrichir ; mais rendre la France maîtresse de l’Indostan par la négociation et la conquête, entrer dans les guerres intestines de ses princes, prendre parti pour les compétiteurs sans nombre qui se disputaient son sol et ses trésors, pénétrer jusqu’au faible cœur de cet empire sans se laisser éblouir par l’or et les diamans dont il était couvert, faire plus que reine une compagnie de marchands, Dupleix l’avait rêvé pour sa patrie. Il l’aurait accompli pour elle si elle l’avait voulu, ou plutôt si son gouvernement le lui avait permis ; car la France, noblement dirigée, voudra toujours ce qui est généreux et fort. L’obstacle ne venait pas seulement de la cour, il venait surtout de la compagnie des Indes. Ranimée un moment, nous l’avons vu, par l’effervescence passagère que le système de Law avait produite, cette société était retombée en langueur. Dans la stagnation complète du commerce asiatique, elle suspendit pendant une année entière le paiement du dividende de 1755. Le gouvernement, obéré lui-même, n’était pas venu à son secours ; il avait fait pis : sur les onze millions que produit annuellement la ferme des tabacs, affectée à la compagnie depuis la régence, le contrôle général ne lui en avait laissé toucher que huit. La compagnie était donc au comble de la détresse. Ne sachant plus de quel côté espérer son salut, elle ne prétendait qu’à s’endormir sur l’abîme, et voyait des ennemis déclarés dans tous ceux de ses agens qui voulaient mettre un terme à sa périlleuse léthargie.

En 1746, la guerre allumée par la succession d’Autriche, quoiqu’en pleine activité depuis trois ans sur le continent européen, n’avait pas encore pénétré dans l’Asie et dans le Nouveau-Monde ; mais tout devait l’y porter. Ce n’était plus l’objet d’un doute pour personne. Seule, la compagnie des Indes restait dans une quiétude parfaite, soit qu’elle fût mal avertie par le gouvernement, soit qu’elle refusât d’ouvrir les yeux à l’évidence. Tandis que Charles-Édouard armait pour s’élancer sur la maison de Hanovre, la compagnie ne croyait pas encore à l’entreprise de ce prince ; elle écrivait à ses agens dans l’Inde que c’était une fausse nouvelle, un propos d’oisifs, un bruit de café. Pour l’éclairer il ne fallut rien moins que la bataille de Culloden. Excité en secret par le cabinet de Versailles, le prétendant s’en était vu abandonné ; au lieu d’une armée il avait reçu de Louis XV une lettre autographe très polie,