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1,800 matelots exercés pour combattre à terre, et plus de 10,000 hommes de troupes indigènes ; mais les assiégés, au lieu de se renfermer dans leurs murs devant des forces et une artillerie si supérieures indépendamment de celles qui les attaquaient du côté de la mer, avaient défendu les approches de la place et acculé l’ennemi dans ses retranchemens.

Ce succès était d’autant plus grand que les suites d’une défaite auraient été incalculables. En effet, qu’on suppose Pondichéry emporté, que seraient devenues les cargaisons dont les magasins de la compagnie étaient encombrés, les fonds déposés dans l’hôtel de sa monnaie[1] et accumulés dans ses caisses, toute son artillerie, les munitions de guerre et de bouche dont la place se trouvait abondamment pourvue, sans compter les amas de diamans, de pierreries, de perles, les riches brocarts, les mousselines, l’or ouvragé, l’or en lingot, l’or sous toutes les formes, enfin la fortune du gouverneur, celle même des principaux Arméniens, Juifs, Maures, Banians, composant plus de 100,000 habitans qui vivaient à l’abri du pavillon blanc et payaient des droits à la compagnie ? C’eût été la ruine d’une colonie acquise avec tant de labeurs et de soins, la ruine des Français dans l’Inde. Un vainqueur jaloux et violent, sous prétexte de représailles, n’aurait pas manqué de détruire de fond en comble un établissement dont il voyait à regret la prospérité et la splendeur. Heureusement il n’en fut pas ainsi. C’était la France qui triomphait ; les princes de l’Indostan ne connaissaient plus qu’elle. Depuis le Grand-Mogol lui-même jusqu’aux derniers nababs, tous avaient envoyé des ambassadeurs chargés de présens complimenter Dupleix, et c’est au milieu de cette cour asiatique, c’est au bruit des mousquetades, des cloches sonnant à grande volée, au chant triomphal du Te Deum, qu’il reçut du cabinet de Versailles l’ordre de rendre immédiatement Madras aux Anglais.

La France et l’Angleterre s’étaient réconciliées. Au plus fort de nos conquêtes, après les victoires de Fontenoy, de Lawfeldt et de Berg-op-Zoom, le gouvernement français n’avait pensé qu’à la paix. Louis XV lui-même, sur le champ de bataille de Lawfeldt, avait fait venir en sa présence le général anglais Ligonier, prisonnier de guerre, issu d’une famille française. Là, dans un entretien particulier, le roi fit des ouvertures

  1. La compagnie française, par concession du Grand-Mogol, battait monnaie à Pondichéry, privilège dont ne jouissait pas la compagnie anglaise à Madras ni à Bombay.