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de paix : noble proposition adressée sur le champ de bataille par un monarque victorieux à un chef ennemi qui avait rendu son épée ; plus noble contraste d’un roi de France tendant la main à un sujet rebelle, presque au même moment où le roi d’Angleterre livrait à d’affreux supplices les partisans de Charles-Édouard, leur arrachant le cœur de la poitrine et leur faisant battre et rougir les joues avec ce viscère ensanglanté ! Mais, ainsi qu’il arrive souvent et à toutes les époques, les ministres ne tardèrent pas à compromettre la pensée du roi en l’exagérant ; ils parlèrent un langage de vaincus pressés d’en finir à tout prix. Le marquis de Puisieux, secrétaire d’état des affaires étrangères, déclara à lord Sandwich qu’il désirait passionnément la paix, et lord Sandwich, qui la désirait peut-être autant que lui, se garda bien de la demander avec autant de passion. Dans l’empressement du cabinet à rendre inutiles les succès de la France, on allait jusqu’à vouloir acheter la paix à beaux deniers comptans : on imagina d’offrir de l’argent à la favorite de George II ; mais le cabinet de Versailles en fut détourné par un de ses avens qui exprima son opinion d’une manière piquante[1]. « Mme la comtesse d’Yarmouth, écrivait cet agent au ministre, est une femme très raisonnable, fort douce et peu entreprenante ; elle est tendrement aimée du roi d’Angleterre. Cependant il lui donne peu, et elle ne serait pas inaccessible à l’argent ; mais, comme elle n’est pas intrigante, elle ne s’est jamais appliquée à entrer les affaires. D’ailleurs elle courrait grand risque si les ministres savaient qu’elle s’en mêlât d’aucune façon ; les ministres d’Angleterre ne souffrent pas que le crédit des maîtresses s’étende sur les affaires politiques ni sur celles du parlement. »

Après cette leçon de politique constitutionnelle donnée à l’amant de Mme de Châteauroux, il fallait recourir à d’autres voies. Embarrassé de ses victoires, le gouvernement français ne négligea rien pour obtenir la paix. Les préliminaires en furent arrêtés d’un commun accord.

Quoique les plénipotentiaires anglais les eussent signés, leur attitude était restée menaçante ; ils se plaignirent de la lenteur du ministère à ordonner la démolition des batteries de Dunkerque. Le cabinet de Versailles se hâta d’ordonner cette démolition, ou du moins d’y mettre la main avant la signature définitive du traité. « Ce bruit, écrivait le ministre des affaires étrangères, ne peut produire qu’un bon effet[2]. »

Le cabinet anglais ne s’en montrait pas plus accommodant dans les

  1. Bussy à Puisieux, 8 janvier 1748.
  2. Puissieux à d’Argenson, 15 novembre 1748.