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pleine de jalousie et de haine : tel est l’état dans lequel Dupleix avait trouvé l’Indostan.

De tous les grands vassaux, le plus puissant alors était le soubadar ou vice-roi du Dekhan, contrée qui, depuis le fleuve Krishna jusqu’au cap Comorin, comprend tout le midi de la presqu’île, compte une population de 26 millions d’habitans[1], un revenu de 14 millions de francs, et commande à cinquante rajahs, à trente nababs, entre autres au nabab de Karnatik. C’est dans le ressort de cette province qu’étaient, placés le comptoir anglais de Madras et le comptoir français de Pondichéry. Celui qui gouvernait alors le Dekhan, vice-royauté la plus importante et la plus vaste de l’Inde, était un vieillard hideux, contrefait, souillé de trahisons et de crimes ; mais par son génie, oublié de l’histoire, il n’était pas inférieur à l’homme extraordinaire qui, de nos jours, sous les vains noms de tributaire et de vassal, siège en vrai monarque sur le trône des pharaons. Le vice-roi du Dekhan se nommait Nizam-el-Molouck. C’était son nom, ou plutôt celui de sa dignité, car c’est ainsi qu’il est toujours désigné par les historiens, qui, grace au ciel, ne sont point forcés de l’appeler de son vrai nom, Tschyn Kelitch Khan. Indigné de la lâcheté du Grand-Mogol, cause de la décadence de l’Indostan, éclairé d’ailleurs sur les malheurs publics par des griefs particuliers, Nizam eut l’audace de recourir à un remède héroïque. Pour infuser un sang nouveau dans le vieil empire, il provoqua en 1738 l’invasion de Thamas-Koulikan, berger du Khorassan qui, après avoir détrôné la dynastie des Sophis et battu les Turcs, s’était fait schah de Perse. Thamas n’eut pas de peine à pénétrer dans l’Inde. La frontière du côté de la Perse était entièrement découverte ; les défilés de Kaboul n’étaient point gardés ; Nizam, qui avait feint de marcher contre Thamas, lui avait ménagé une entrée facile. Il avait surtout contribué à rendre tout accommodement impossible en dictant au Grand-Mogol des lettres insolentes. Le schah s’en irrita ; après une course rapide sur une route teinte de sang, il fondit comme un ouragan sur l’Inde. Grace à Nizam, le Mogol reposait tranquille, ne s’attendant à rien. La perfidie du visir, la lâcheté des courtisans et l’insouciance de tous l’avaient laissé dans une ignorance complète. « Un berger du Khorassan, disait la cour de Delhy, oserait-il jamais s’attaquer au roi des rois ? » Nizam riait plus haut que les autres. L’audace du Persan eut un prompt succès.

  1. En y comprenant le Karnatik, le Mysore, avec le Malabar et le Kanara.