Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/425

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sans se donner même la peine de vaincre le Mogol dans une bataille, Thamas le fit venir dans son camp. Là, après lui avoir donné un grand festin, il demanda à ce successeur de Tamerlan comment il avait été assez stupide pour laisser venir les Persans jusqu’aux portes de sa capitale au lieu de marcher contre eux, et surtout comment il avait eu la folie plus grande encore de se mettre à la discrétion de son ennemi. « Au surplus, ajouta-t-il, je n’ai pas de mauvais desseins, je le jure par le Koran ; je vois que vos sujets sont des lâches, cela me suffit ; je vous ferai une visite à Delhy, que je suis curieux de voir, puis je m’en retournerai chez moi. » Cette visite eut lieu en effet ; elle fut le signal d’un massacre, mêlé de viol et d’incendie, qui dura depuis l’aurore jusqu’à midi. Delhy nagea dans le sang ; elle ne s’en est jamais remise. Thamas présidait au carnage du haut d’une terrasse, un sabre à la main. Après avoir levé une contribution de plus d’un milliard de francs, il retourna en Perse, et, joignant une froide ironie à une cruauté impitoyable, il conseilla au Grand-Mogol de prendre bien garde à son visir le Nizam-el-Molouck, trop rusé pour un sujet. Après ces scènes horribles que lui-même avait provoquées, Nizam eut l’impudence de venir demander en pompe au Grand-Mogol l’investiture du Dekhan. Il l’obtint et s’achemina ensuite tranquillement vers sa vice-royauté. Mohamed, ne pouvant le punir, fut contraint de recevoir Nizam avec bonté ; quelque temps après, il en mourut d’humiliation et de chagrin.

Dupleix, alors gouverneur de Chandernagor, bien informé de toutes les affaires de l’Asie par sa vaste correspondance, avait fait avertir secrètement le divan de Delhy de la perfidie du Nizam et de l’invasion prochaine de Thamas-Koulikan. Cette invasion ne s’était pas étendue jusqu’aux comptoirs anglais et français dans la partie méridionale de la péninsule ; à l’abri du danger, ces comptoirs avaient vaqué à leurs occupations habituelles. Soit force de l’habitude, soit magie du trône, les étrangers établis dans l’Inde n’avaient rien perdu de leur respect superstitieux pour le gouvernement central. Quoique rudement frappé par la main d’un chef de brigands, c’était toujours le Grand-Mogol, le successeur de cet Aurengzeb, qui avait forcé les Anglais à lui demander pardon à genoux, et dont le souvenir était encore dans tous les esprits. L’invasion de Thamas avait bien un moment rompu le charme ; mais, le péril passé, on n’y voyait plus qu’une sorte de razzia, qui n’avait guère laissé d’autres traces que la ruine d’une capitale et la perte d’un trésor. Personne n’osait donc attaquer l’empire fondé par Tamerlan ; il semblait dans toute sa force ; on le croyait vivant parce qu’il n’était