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pas tombé. Dupleix ne partageait point cette illusion. Seul, il ne croyait plus à la puissance indienne, moins par suite des pertes qu’elle avait essuyées qu’à cause de sa constitution même. Tout le faste oriental ne pouvait déguiser cette décadence à des yeux tels que les siens.

L’influence, dans cette partie du monde, appartenait alors uniquement à la France. L’Angleterre, à peine remise des angoisses intérieures d’un établissement dynastique violemment combattu, mal servie par ses agens dans l’Inde, affaiblie d’ailleurs par les succès de Dupleix, ne pouvait prétendre à la domination. Dupleix résolut d’en réserver le monopole à la France ; mais, pour réussir dans ce dessein, il ne suffisait pas d’un commerce borné et rare : il fallait en appeler à la conquête, à une large extension territoriale. Comment y parvenir ? En se mêlant des querelles intérieures des princes indous, en soutenant un parti contre l’autre, en échangeant des cessions de territoire contre des services rendus par la force des armes.

Les princes indiens, nababs ou paliagars, pouvaient mettre trois cent mille hommes et cent mille chevaux en campagne. Les chevaux étaient mal nourris, les hommes mal armés : ils n’avaient que des piques, des poignards, des mousquetons, de mauvais sabres, quelquefois un simple fouet ; mais, bêtes et gens, tous étaient également prompts, infatigables, d’une patience et d’une sobriété merveilleuses. C’était là leur force. Quant au bon ordre, nulle possibilité de l’établir dans leurs armées ; elles étaient toujours pleines de femmes, de fakirs, d’astrologues et de bouffons. La hiérarchie des rangs n’était pas mieux observée. Les soldats mettaient sans cesse les officiers aux arrêts ; les chefs ne savaient ni camper, ni s’approvisionner, ni se battre ; ils poussaient au hasard devant eux des masses indisciplinées et confuses. Pour intervenir avec efficacité dans leurs affaires, il fallait leur opposer ou leur prêter des troupes instruites à l’européenne ; la victoire se rangerait avec certitude du côté où se trouverait la discipline. Pénétré de cette pensée, Dupleix ne négligea rien pour instruire non seulement les Français placés sous ses ordres, mais les Indiens, les Caffres, les mulâtres, dont il fit des troupes régulières sous le nom de Cipayes. En les envoyant au secours d’un parti, il décidait la défaite du parti ennemi ; il assurait aussi à la compagnie des cessions de territoire, sans que la guerre coûtât une obole aux actionnaires, puisque c’étaient les princes indigènes qui devaient en payer les frais. Cette politique, qui sembla hasardée, n’était au fond que raisonnable ; il n’y avait pas d’autre moyen de conserver nos possessions dans l’Inde. Dupleix s’était convaincu, après un examen très attentif, que le commerce,